Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes des quatre Ardennes - Frédéric Kiesel

Le frère Bernd de Schankweiler

II n'est pas facile d'être vertueux. Il est encore moins aisé de mener une sainte vie. Pour cela, il ne faut pas seulement se battre contre soi-même, mais aussi contre le diable. Le spectacle d'une existence édifiante le rend malade, et il veut la bousculer. Mais ses armes ne valent, en définitive, que si nous y croyons, si nous nous laissons fasciner.

Le frère Bernd (Bernard) du petit monastère de Schankweiler en était certain. Cela lui donnait du courage lorsque, dans sa cellule, le diable venait le tenter en prenant la forme d'une capiteuse et lascive jeune fille.

Le moine ne succombait pas, il se détournait de la séduisante apparition et entrait en prière. Alors, la forme de la tentatrice faisait place à celle du démon, qui s'en allait en fumée après avoir proféré des malédictions abominables.

Selon la coutume de l'époque, pour mieux résister à la vue de la jolie gourgandine de l'enfer, et au souvenir qu'elle laissait dans son esprit, le moine se frappait tous les vendredis, avec la « discipline » (1), jusqu'à ce que son sang coule sur les dalles de sa cellule. On l'entendait crier jusqu'au village de Schankweiler, à la fois de douleur et de pieux défi.
— Satan, tu. ne me vaincras pas ! s'exclamait-il.

Il se livrait à des mortifications sévères, accomplissant les besognes les plus rudes. Il allait faire des fagots au bois en plein hiver, et lavait les couloirs du monastère. Durant le carême, son potage, disait-on, n'était pour ainsi dire que de l'eau chaude, et des cendres lui tenaient lieu de lard.

Connue dans toute la région, sa vie de sacrifices et de mortifications le fit mourir en odeur de sainteté. On aurait bien voulu le faire déclarer saint, ou du moins bienheureux, mais personne ne pouvait, à l'époque, être béatifié tant que le nom de famille était encore porté par un vivant. On devait donc attendre, car plusieurs neveux du frère Bernd vivaient encore.

Il semble pourtant que, si humble avant sa mort et si patient, le frère Bernd se demandait, dans l'autre monde, pourquoi on n'honorait pas mieux sa sainte mémoire. En effet, un jour, les moines entendirent des bruits étranges dans la chapelle. On donnait des coups sourds, mais très perceptibles, sous le niveau du sol. Le bruit venait de la dalle funéraire du frère Bernd.

L'ermite qui lui avait succédé fit venir les deux hommes sages du village: le curé et l'instituteur. Ils décidèrent d'ouvrir la tombe. Ils y trouvèrent le corps intact, ce qui ne les étonna pas, tant ils avaient de vénération pour le souvenir du mort. Et le curé dit simplement :
— Il reste ainsi.
Bien que non béatifié, le frère Bernd semble avoir protégé l'ermitage de Schankweiler. Le moine qui l'occupait y était gravement malade et n'en avait prévenu personne. Or, il était sur le point de mourir. C'était la nuit. Une voix réveilla le curé du village et lui dit :
— Va à l'ermitage. On y a besoin de toi immédiatement.

Le curé s'y rendit en toute hâte, portant ce qui était nécessaire pour administrer les derniers sacrements, car il pensait bien qu'il s'agissait de cela. Il arriva à temps pour assister le frère dans ses derniers moments sur terre. On montre encore maintenant sa tombe dans la chapelle. Elle n'est pas très ancienne, me dit-on. Il ne faut pas croire que ce genre de faits remonte à un passé immémorial ou légendaire. Et d'ailleurs, rien ne nous assure que les légendes elles-mêmes soient le fruit de la seule imagination. Ni que l'imagination nous abuse...

  1. Sorte de fouet dont jadis, par mortification, ou pour se punir d'un manquement, des moines se frappaient eux-mêmes le dos.



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