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Les légendes des quatre Ardennes - Frédéric Kiesel

Le violoneux d'Echternach

Peu de temps après l'évangélisation de la contrée par saint Willibrord, un habitant d'Echternach nommé Veit, se rendit en pèlerinage en Terre Sainte, avec sa jeune femme qui était devenue chrétienne en même temps que lui.

C'était une rude aventure au bout du monde. Chacun savait que le voyage était long et périlleux. Beaucoup n'en revenaient pas. Après des années, la parenté de Veit estima qu'il était mort là-bas. Ses héritiers, des cousins lointains et sans scrupules, se partagèrent ses biens, et l'on ne pensa plus au hardi pèlerin.

Un jour pourtant, Veit revint, mais seul et triste: sa femme avait été tuée par les Sarrasins. Il ne s'en consolait qu'en jouant sur un petit violon de bois blanc, la « gadoulka » des Tziganes.

L'instrument, alors inconnu dans nos pays, suscita beaucoup de curiosité. On invita Veit pour égayer de sa musique étrange des baptêmes ou des mariages. Il devint vite populaire. Seuls, ses cousins l'avaient vu revenir d'un mauvais œil. Ils ne voulaient pas lui rendre ses champs, ses prés et sa maison. Comme il les réclamait en justice, on trouva de faux témoins pour l'accuser d'avoir tué sa femme, au début de son pèlerinage. Le mensonge était grossier, et il nia avec indignation. Il fut décidé qu'on recourrait à ce qu'on appelait le « jugement de Dieu » : un duel dont le vainqueur serait considéré comme ayant raison.

Les trois plus vigoureux de ses cousins se présentèrent sur le pré, le long de la rivière, le lundi de la Pentecôte. Veit n'était pas un Hercule, et il était encore affaibli par les fatigues de son long voyage. Dès la première passe d'armes, il fut jeté par terre. Son adversaire lui mit le pied sur la poitrine, et l'épée sur la gorge. Le malheureux garçon dut s'avouer vaincu, mais il refusa d'avouer meurtre qu'il n'avait pas commis.

Malgré son évidente sincérité, le «jugement de Dieu tenait lieu de preuve, et le tribunal condamna Veit à être pendu le lendemain, pour assassinat et mensonge e justice. Il demanda pour seule grâce de pouvoir marcher à la potence avec son petit violon. Les juges le lui accordèrent.

Le lendemain, le gibet était dressé sur la colline où se trouve l'église paroissiale d'Echternach(1).
Tout ce qu'il y avait de valide, dans la ville et les villages proches, était là, curieux, commentant l'événement en sens divers. Les uns le croyaient coupable. D'autres hésitaient, mais n'osaient pas parler tout haut de leurs doute car ils redoutaient le tribunal.

Veit arriva, tenu enchaîné par sa ceinture, ce qui lui laissait les bras libres pour tenir son petit violon. Il ne semblait pas abattu pour un homme qui va mourir dans quelques minutes. Quant il fut au pied de la potence, tira de son violon des sons d'une douceur telle qu'on croyait entendre la voix des anges. Un meurtrier pouvait faire ouïr une si céleste musique? Ou était-ce le diable qui lui en donnait le pouvoir?

Ensuite sa mélodie se fit plaintive. L'homme le pi borné sentait bien que Veit exprimait ainsi une douleur profonde, sans doute celle d'avoir perdu sa femme. Il tirait des larmes à tout le monde, sauf à ses cousins, troublés et inquiets. Le bourreau lui-même, pourtant choisi parce que peu émotif, ne pouvait retenir ses larmes, et il descendit du gibet où il tenait le nœud coulant qui devait étrangler le condamné.

Tout en jouant, Veit murmurait des paroles que personne ne comprenait. Sans doute, priait-il Dieu de le faire échapper au supplice. Certains dirent qu'il faisait appel aux puissances infernales, mais on ne les crut pas trop. Toujours est-il qu'après avoir subjugué la foule par la tendresse et ses plaintes, Veit changea subitement de rythme. Il joua des airs de plus en plus vifs et endiablés, entraînant tout le monde dans une danse folle.

Les bons citoyens — et les moins bons — d'Echternach dansèrent ainsi, gaiement ou non, jusqu'au soir. A l'époque, on était très robuste, mais, tout de même, je crois que la fin de cette ronde fut accueillie avec soulagement par une population fourbue. L'exploit, par après, devait être rappelé avec fierté. Il est commémoré à chaque lundi de la Pentecôte, lors de la célèbre procession d'Echternach, dont les participants font trois pas en avant et deux en arrière, et, ainsi de suite, sur tout le parcours.

Ceux, par contre, qui gardèrent un souvenir exécrable de l'aventure, furent les cousins de Veit. Non seulement, ils sortirent déconfits de l'affaire et durent rendre ses biens à leur parent calomnié, mais ils continuèrent, dit-on, à danser toute une année.

Saint Willibrord, qui était alors à Utrecht, finit par en être averti et fit cesser le châtiment. Celui-ci, tout compte fait, amorcé sous des auspices assez « catholiques », avait tourné en sorcellerie classique mais morale. La « danse des agités », dite danse de Saint-Guy, constitue, en effet, dans les folklores de diverses régions, soit un maléfice gratuit, soit un châtiment mérité.

  1. À ne pas confondre avec la grande église abbatiale.

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