Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes des quatre Ardennes - Frédéric Kiesel

Saint Monon à Nassogne

Les saints personnages qui ont christianisé nos régions sont restés vivants dans le souvenir populaire. Autant que des châsses abritant leurs restes, les plus beaux monuments qui les commémorent sont les légendes que l'on raconte encore à leur sujet. Il en est ainsi pour saint Remacle au pays de Stavelot, et pour l'ermite Monon à Nassogne, où ses restes sont conservés dans un reliquaire du XVIIIe siècle, moins précieux que la glorieuse châsse de saint Remacle, mais fort gracieux.

La légende de l'évangélisateur de la forêt de Freyr a plus de rudesse. Il semble bien être né en Écosse autour de l'année 600. C'était un homme pieux, pratiquant le jeûne et la méditation.

Une nuit, pendant son sommeil, un ange lui apparut, lui disant : « Monon, fidèle serviteur de Jésus-Christ, Dieu le Très-Haut t'ordonne d'aller sans retard en Gaule et d'y chercher, dans la forêt d'Ardenne, le lieu nommé Frydier(1), qui est arrosé par la source Nassonia. Quand tu l'auras trouvé, tu t'y arrêteras et y feras la place de ton repos jusqu'au jour du jugement. »

Monon était un homme réfléchi. Ne voulant pas prendre un simple rêve pour un signe du ciel, il pria le Seigneur de lui envoyer la même vision trois nuits de suite, si elle était véritablement un signe envoyé par Lui.

Il en fut ainsi. Après la troisième vision, Monon qui n'était pas prêtre ni moine, mais simplement un pieux laïc prit son bâton de pèlerin et se mit en route. Homme humble autant que courageux, il ne s'estimait pas à même d'accomplir immédiatement la mission qui venait de lui être confiée. Aussi fit-il d'abord le voyage de Rome, en pèlerinage au tombeau de saint Pierre, pour être fait diacre.

A cette époque, les pèlerins, gens décidés, ne reculaient pas devant de longs trajets à pied, d'un bout à l'autre de l'Europe, voire jusqu'en Terre Sainte. C'est d'ailleurs ce qui rendit possible, quelques siècles plus tard, les folles équipées des Croisades.

Willy Lassance, qui a rassemblé les divers éléments de la légende du patron de Nassogne(2) rapporte qu'en chemin vers Rome, Monon rencontra dans une auberge, au nord des Alphes, le septième évêque de Tongres-Maestricht, Jean dit l'Agneau, à cause de sa douceur et de sa bonté. L'évêque revenait lui-même de Rome. Ayant appris la vocation de Monon, et constaté combien le pèlerin écossais était édifiant par son humilité et sa vertu, il le bénit et lui conseilla de venir chez lui, à Tongres, à son retour de Rome.

C'est ce que fit Monon. Il y fut instruit du langage et des coutumes des populations ardennaises. Les chroniqueurs nous disent que, chez Jean l'Agneau, Monon fut admiré pour sa sainteté. Il jeûnait, se mortifiait, priait des nuits entières. Il était pour chacun, dans sa modestie et sa discrétion, un exemple de charité, apaisant les disputes, et faisant régner la joie et l'amitié autour de lui.

Les hommes étant les hommes, l'envie se mêla à l'admiration. L'ayant constaté, et s'étant d'ailleurs instruit de ce qui pouvait être utile à son apostolat en Ardenne, Monon demanda à l'évêque de lui permettre de partir pour Freyr, qui lui avait été désigné par l'ange de son rêve.

Il y trouva un coin de forêt sauvage, presque inhabité. Il défricha un carré de lande et de buissons qu'il cultiva, et commença à bâtir un petit oratoire et une cellule, où il vécut en ermite. Dans cette âpre solitude, il montra beaucoup d'endurance et ne se laissa pas décourager, bien que le lieu fut peu hospitalier.

Sa présence, si tranquille fût-elle, ne passa pas longtemps inaperçue. Les habitants des alentours, étaient de rudes bûcherons, des chasseurs, des bergers conduisant les moutons paître dans les clairières, ou les porcs à la glandée. Ils n'étaient pas sortis des superstitions du paganisme. La vie humble de cet étranger venu vivre parmi eux les étonna, et certains écoutèrent les paroles de l'Évangile qu'il leur transmit.

Selon la touchante naïveté des vieux siècles chrétiens, l'« ancienne vie » de saint Monon nous apprend que Dieu montra à son apôtre qu'il approuvait son travail. Il l'aida en faisant découvrir une clochette par un porc qui fossoyait dans ce lieu désert. Monon s'en servit pour appeler à sa chapelle les habitants du voisinage(3).

Ils l'aidèrent à achever son ermitage et apportèrent leurs pauvres offrandes à Dieu comme ils le faisaient auparavant pour les divinités païennes. Ils écoutaient son enseignement familier qui exigeait d'eux l'honnêteté, la justice, le respect de la vie, la fidélité. Il guérissait les malades et réconciliait les ennemis.

Ceux qui vivaient de rapines en cette époque encore bien barbare ne trouvaient point l'exemple de Monon à leur goût. Un groupe de bûcherons s'adonnant au brigandage pénétra un soir dans l'oratoire du saint homme. Ils lui défoncèrent le crâne avec un coin à fendre le bois.

On situe la mort de Monon aux environs de 636. Il semble que son martyre eut encore plus d'influence que sa vie et son enseignement. On lui fit des funérailles populaires. Selon l'habitude du temps, le culte spontané rendu par les fidèles et le renom de ses miracles le firent invoquer comme un saint. Les malades et les infirmes vinrent l'invoquer, et l'évêque Jean l'Agneau, ayant appris ce qui s'était passé, fit édifier à Nassogne une église dédiée à la Vierge et à saint Monon.

Une dotation de Pépin le Bref permit à un chapitre de chanoines de vivre à Nassogne pour y assurer les besoin du culte, ce qui valut à l'église de Nassogne le titre de collégiale, très rare dans un village.

Une chapelle, plusieurs fois restaurée, a été élevée sur les lieux de l'humble ermitage et du martyre de saint Monon. De la collégiale à la chapelle, tous les ans, le dimanche avant la Pentecôte, une procession fort suivie transporte les restes du saint, dans la jolie châsse décorative du XVIIIe siècle, dont le style aimablement baroque n'a pas beaucoup de rapports avec la rude vie menée par l'ermite, mille ans plus tôt. La procession pittoresquement appelée les « remuages »(4), rassemble des pèlerins venus des localités de toute la région. Pour former le cortège, les hallebardiers appelaient les villages par ordre alphabétique. Arrivés à la lettre F, initiale de Forrières, ils continuaient, depuis treize siècles, à faire porter sur les habitants de ce village la responsabilité du meurtre que leurs ancêtres étaient censés avoir commis.

Collégiale Saint-Monon à Nassogne

Collégiale Saint-Monon à Nassogne

Citant différentes enquêtes, Willy Lassance a rassemblé les apostrophes par lesquelles on enjoignait à ces héritiers de très hypothétiques assassins l'ordre de tenir la queue de la procession :

« Les gens de Forrières, en arrière »,
« En arrière, les gens de Forrières, ils ont occis saint Monon, »
« Arrière, ceux de Forrières, qui ont traqué saint Monon à coups de pierres ».
« Arrière, ceûs de Forrière, qui ont moûdri saint Monon. »

Après tout, cette tradition qui ne semble pas traumatiser trop ces braves gens, est peut-être due à la commodité sonore. Arrière, Forrières, à coups de pierre : comme écrivait, dans son Art poétique l'Ardennais Paul Verlaine: [« Oh ! qui dira les torts de la rime... »]

  1. Ancien nom de la Forêt de Freyr.
  2. Dans Trois hauts lieux de l'Ardenne dans l'histoire: Saint-Hubert, Amber-loup, Nassogne, Éditions Louis Musin, Bruxelles, 1976.
  3. La petite clochette rudimentaire de fer, ressemblant à une de celles que l'on pendait au cou des vaches, est encore honorée dans l'église collégiale de Nassogne comme étant celle du saint homme. Elle est enfermée dans une belle monture en argent, datée de 1594, dont le dessin gravé montre notamment une effigie de Monon.
  4. Selon Louis banneux dans L'Ardenne superstitieuse le terme de « remuage » rappellerait la tradition selon laquelle c'est un cochon, — comme pour la clochette — qui, en rouillant dans le sol, aurait découvert le corps de Monon, hâtivement enterré par ses meurtriers.



Haut de page

Les légendes des quatre Ardennes      Retour à la liste des légendes      Retour à la page d'accueil

CSS Valide ! [Valid RSS]

Site optimisé pour Firefox, résolution minimum 1024 x 768 px

Flux RSS : pour être au courant des derniers articles édités flux rss