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Légendes et contes du pays de Charleroi

Charleroi

Notre-Dame du Rempart ou la Madone des deux hexagones.

Ce fut le premier dimanche de mai 1682 que «l'affaire» éclata, dans une forteresse aux visages adoucis par la fine lumière et le doux soleil revenus. Sur les arbres du rempart, où elle survint, poudroyait, comme l'aurait écrit Maurice des Ombiaux, la première verdure aigrelette du printemps. De là-haut, un des plus beaux paysages de la région s'offrait à la vue des promeneurs, soldats et civils venus de la première messe du matin : par-delà la rivière et les campagnes, un ample et abondant horizon cotonné de forêts.

L'idée de construire une enceinte bastionnée sur la rive gauche de la Sambre ainsi que l'option pour l'enceinte d'un tracé hexagonal émanaient des autorités militaires espagnoles, en guerre avec la France. Les travaux avaient commencé en août 1666, après la destruction du village qui groupait la plupart de ses habitations et son église Saint-Christophe sur le versant sud-ouest de l'éperon rocheux choisi par les ingénieurs.

Et le nom orgueilleux de Charleroy effaça brutalement de la carte celui, modeste, pacifique et charmeur, de Charnoy (charmeraie).

Le plan de la ville militaire construite à l'intérieur des remparts fut l'œuvre des Français qui, au printemps 1667, s'emparèrent de la forteresse inachevée, menèrent les travaux à bien, puis s'occupèrent de l'organisation de la ville qui venait d'être créée. Ils eurent l'idée d'y attirer des civils, petits industriels, artisans et commerçants, par l'octroi de privilèges et exemptions.

«Louis par la grâce de Dieu Roy de France et de Navarre, à tous presens et à venir salut. La Place de Charleroy scituée à la tête du Pays d'entre Sambre et Meuse, ... n'étant point habitée, ni au dedans ni au dehors, et considèrent que rien ne sert d'avantage à la seureté, et conservation des Places et au maintien des Troupes qui y sont en Garnison que lorsqu'elles sont bien peuplées, Nous avons résolu, non seulement de la remplir d'un bon nombre d'Habitans, mais de former, si possible, des Faubourgs aux environs d'icelles, et parce qu'il seroit difficle d'y attirer des Gans pour les peupler s'ils n'y étoient convié par quelque favorable traitement... disons, déclarons et ordonnons, voulons et nous plait que toutes et chacunes les personnes, qui désireront s'aller habiter au dit Charleroi, de quelque état, profession qu'ils soient, demeurent et soient exempts de toute levées des Tailles, Taillons, Subventions, gabelle, droit d'Entrée et de Sortie, soit des Bestiaux, Vins, Grains et Denrées, de toutes sortes d'Etoffes, Marchandises et autres choses généralement quelconques, ensemble de tous logements des Gens de Guerre, Fournitures d'Ustensiles, Contributions et autres impositions quelconques, comme aussi de faire Guez et Gardes, et de toutes autres Charges... Nos avons pareillement déclaré et déclarons que nous leur accorderons et ferons Don des places qui leurs seront nécessaires pour faire leurs Batimens et Maisons et qu'en outre Nous ferons faire à nos frais et dépens les murailles du devant des Maisons; que seront bâties et construites dans l'enceinte de ladite Place.» (août 1668).

Louis XIV appliqua, en 1675, à la Ville-Basse, qui appartenait cependant à la Principauté de Liège, et à l'Entre-Villes tous les privilèges susdits. Charles II d'Espagne renouvela et augmenta ces franchises en 1679.

Pour la garnison, les Français érigèrent sur la belle place, hexagonale comme l'enceinte, un arsenal, des casernes, une maison du gouvernement et, dédiée à saint Louis, une chapelle royale. Elle est petite et réservée, écrira le gouverneur, comte de Beaufort, en 1728. Un plan, qui se trouve au musée des Invalides, à Paris, la montre parfaitement: une seule nef, sans abside, un porche circulaire avec une colonnade surmontée d'un petit dôme.

Les premiers desservants sont des prêtres français choisis par le gouvernement de Louis XIV: MM. Fontaine, de 1667 à 1674, et Thomas, de 1674 à 1678, tous deux licenciés en théologie de la Faculté de Paris. Puis François de Libre, de 1678 à 1679. Les Espagnols nomment, en 1680, un prêtre de la région, M. Jean Martini, d'Ham-sur-Heure, qui restera jusqu'en 1709.

Deux messes sont célébrées chaque dimanche. Comme la chapelle sert aussi d'église paroissiale pour la population civile de la Ville-Haute, de l'Entre-Villes, de la Broucheterre et du Faubourg - heureusement, le peuplement civil s'effectue lentement -, on devine que nombreux sont les fidèles qui suivent les offices de l'extérieur. Les militaires en premier : les effectifs de la garnison varient, avec la situation, de deux à quatre mille hommes.

L'abbé Martini s'inquiète pour ces fidèles, surtout quand les intempéries s'abattent sur eux. Il sera en proie à une émotion plus vive en ce printemps 1682.

Voilà que des soldats et des bourgeois, en promenade, découvrent sur l'un des arbres du rempart ouest, derrière le quartier de cavalerie, dans une sorte de niche naturelle formée par les branchages, une statue de la Vierge!

D'où vient cette madone? Elle est curieuse. «Les plaques d'or sous lesquelles se dissimulent les oreilles n'en font-elles pas un transfuge de la Frise ou de la Zeelande? La cuirasse et le casque ne la rapprocheraient-ils pas d'un mysticisme à symbolisme militaire?» se demandera l'écrivain Pierre Bourgeois, en 1943, après tant d'autres Carolos, dont l'abbé Lalieu, en 1908.

«Qu'une telle œuvre aussi gracieuse et aussi protégée se découvre sur un rempart de forteresse, n'est-ce point une double prédestination à un culte qui suppose la délicatesse et la vigilance, le beauté et l'intercession tutélaire?» (Pierre Bourgeois). Les promeneurs ne peuvent laisser la madone exposée aux mauvaises intentions des hommes et du temps. Il faut prévenir monsieur le curé. Et au plus vite.

Le curé se libère d'une dévote qui s'entête à lui conter une histoire à n'en pas finir, avec des sorcières et des envoûtements. Il se dépêche vers l'arbre et croit devoir faire apporter la statue à la chapelle royale, qu'il ferme, comme d'ordinaire.

Quand, le lendemain, il s'avance vers l'autel où il a placé le bel et saint objet, quel n'est pas son étonnement de constater que la statue a disparu! Il mande son vicaire. Tous deux s'interrogent, non sans inquiétude.

Le curé dépêche son assistant chez le gouverneur, dont l'habitation est toute proche.

Les fidèles arrivent pour le premier office. Pressentiment? L'abbé a l'idée d'en envoyer un à l'arbre du rempart. C'est en courant que l'homme effectue l'aller et le retour : deux cents mètres.

La Vierge est là, bien visible, dans sa niche de feuillage! Et déjà entourée de badauds, dont nous laissons à deviner les sentiments (car les nouvelles sont véloces dans ce petit espace qu'est la Ville-Haute).

Le curé expédie au plus vite - que Dieu lui pardonne! - sa messe basse. Il s'empresse vers «l'image», la prend dans ses bras avec plus de précaution et autant de respect que la veille, puis la remet dans le feuillage.

N'aurait-il pas dû donner de l'éclat à la translation d'hier? Il ressent le retour à l'arbre comme un reproche. Il va réparer. Et tout de suite.

Une heure plus tard, une procession improvisée, mais embellie d'un certain éclat liturgique, ramène la Vierge volontaire et ambulante dans la chapelle Saint-Louis. Cette fois, non seulement on ferme toutes les issues, mais, en plus, on monte la garde durant la nuit aux abords du temple.

A l'aurore, la virginale passe-muraille a repris sa place initiale! Le curé Martini et la garde occasionnelle sont frappés de stupeur. Quelqu'un crie: «Au miracle!». L'abbé l'apaise, lui conseille le calme et la prudence, mesurant ses sentiments et ses mots. Nonobstant, il en réfère à monseigneur Van Perre, chef du diocèse de Namur, dont dépend alors la Ville-Haute de Charleroy.

L'évêque mène une enquête canonique, mais rapide. Il reconnaît que la volonté de Notre-Dame est formelle et autorise la construction d'une chapelle, là où la Vierge a fixé et indiqué clairement son choix.

Le 2 juillet 1682 - deux mois seulement se sont écoulés -, la chapelle est inaugurée. Elle est solennellement placée sous l'invocation de la mère de Dieu, au titre de Notre-Dame du Rempart.

On disait encore, au début de notre siècle, dans les vieilles familles de la ville, que c'était la plus belle de la région.

De forme sextogène, elle était éclairée par cinq fenêtres. Généreux, le gouverneur avait à la fois payé les frais de la construction, orné et meublé richement l'édifice : un sceptre et une couronne pour la Vierge, une couronne et un globe surmonté d'une croix pour l'enfant Jésus, une lampe incrustée, un superbe calice avec la patène, les burettes, le plat et la sonnette, une statue de saint Jean-Baptiste et une de saint Christophe, la même qui, précédemment, se trouvait dans l'église du Charnoy. D'aucuns de ces objets étaient en or ou en argent. Et puis, des vêtements sacerdotaux et une cloche. Aux côtés de la porte d'entrée, deux plaques commémoratives : la première gravée aux armes du roi Charles II, la seconde à celles du lieutenant-gouverneur El Mgre de Campo Don Juan de la Paztemente.

Notre-Dame du Rempart (ou au Rempart) n'a point fini de déambuler. Mais ce sera contre sa volonté.

La foi en Notre-Dame du Rempart va tellement se développer qu'un nouveau sanctuaire, plus vaste, est érigé en 1907, sur la partie du boulevard Audent qui deviendra le boulevard de l'Yser après 1918. Le 22 août 1914, bombardé par l'armée allemande, il est la proie des flammes. La statue est découverte, intacte, au milieu de l'incendie, par un vicaire de la Ville-Haute, qui la porte en l'église Saint-Christophe bâtie à l'emplacement de la chapelle royale deux fois «refusée».

En janvier 1916, Notre-Dame retrouve sa maison, restaurée mal¬gré les difficultés créées par l'occupation étrangère. Depuis trois quarts de siècle, protectrice et dispensatrice, elle accueille ses fidèles toujours nombreux.

«Nous, Carolorégiens, nous avons sucé, avec le lait de nos mères, cette pieuse croyance locale et nous la considérons comme un précieux et inaltérable héritage. Nous avons le droit et le devoir de conserver en nos cœurs cette tradition, comme soigneusement on serre dans des coffrets d'ébène les reliques séculaires ou les vieilles armoiries sur sceaux et parchemins.» (Mgr Lalieu, curé-doyen de Charleroi). Comme Charleroi, et par ailleurs Walcourt et Tongres-Notre-Dame, Nalinnes abrite aussi une Vierge autrefois ambulante.

Au commencement du XVIIème siècle, des Brigittins, religieux de l'ordre de Saint-Sauveur fondé par sainte Brigitte de Suède, vinrent construire un couvent à Nalinnes.
Quant, en 1725, il fut décidé de démolir leur chapelle du Mont, on transporta leur statuette de Notre-Dame au Bon Secours dans l'église paroissiale de la Visitation. Sans cérémonie. Avait-on idée!
Bien sûr, on lui avait réservé une belle niche rococo... Nonobstant, elle n'y resta point. Par deux fois, elle retourna se poser sur un arbre dans l'ancien verger des moines.

Le clergé comprit, là encore. Une translation solennelle fut organisée.
Depuis, la statuette n'a plus quitté la toute belle église de la Visi¬tation. Même quand on la cacha, entre 1925 et 1940, derrière une statue de Notre-Dame de Lourdes. Même au cours du bombardement désastreux du 16 mai 1940.
Mais voici que Raymond Lebrun, le Marloyat qui connaît le mieux sa commune, vient de nous conter une autre légende locale où est aussi impliquée une Vierge baladeuse.
Sur la route qui conduit au moulin de Nalinnes se trouve une chapelle assez récente, qui en remplace une très vieille, tombée en ruine.
Celle-là abritait encore, il y a peu, une statuette en buis de Notre-Dame de la Douce Pensée qui avait disparu pendant la Révolution française. Peu après cette disparition, à l'article de la mort, la femme du propriétaire, un certain Emile Lebeau, invoqua le secours de la Madone enfouie dans l'ombre et le silence.

Subitement, la voilà qui apparut sur le coin de l'armoire!
On raconte que la malade ne fut pas guérie, mais que l'ancien pèlerinage ressuscita. Il venait des gens de tout le pays de Charleroi qui souffraient de la vue. Ils se bassinaient les yeux avec l'eau d'une source proche. Il y a quelque cinquante à soixante ans, quand une personne du bourg était gravement malade, neuf de ses voisines se rendaient en groupe à la chapelle «Tchaule» (Charles).

Un mauvais jour, la statuette disparut. On ne pense nullement qu'elle fut reprise par sa volonté baladeuse. Volée? Pas précisément. N'en disons pas plus. En attendant son retour, une «avièrge» en plâtre a pris sa place.
«Vous oubliez la statue de saint Jean-Népomucène, vont nous dire les Carolos au courant de l'histoire de leur ville-forteresse. Elle aussi s'est déplacée.»
Non, elle fut déplacée. C'est tout autre chose.
Elle ornait une niche monumentale en pierres bleues, de style Louis XV, élevée, en 1771, par la volonté et les finances d'un baron Coenens, gouverneur autrichien de la place. Comme ce saint Jean-là est le patron des passages d'eau, elle se trouvait, bien entendu, sur le vieux pont, à peu près au bas de l'actuelle rue de la Montagne.

Un jour de 1793, des soldats républicains la jetèrent dans la Sambre. Elle alla s'échouer à Montignies, dans un coude de la rivière, sous les Trieux.

Justement, un nommé Loriaux venait d'y faire bâtir une chapelle dédiée à sainte Barbe. Découvrant le saint, il y vit un signe du Ciel. Sans doute mésestimait-il les services de la protectrice des houilleurs et des bateliers? En tout cas, il exila sainte Barbe et porta ses faveurs sur l'émigrant.

En vain les Carolos réclamèrent-ils leur bien. Comme saint Jean-Népomucène n'entendit pas remonter le cours de la Sambre jusqu'au vieux pont de Charleroy - sans doute avait-il été trop secoué par les hommes et les eaux - et que personne ne crut bon de soulever un conflit ni de cultiver une animosité, l'événement s'enfonça dans le creux de l'oubli populaire.


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