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Légendes et contes du pays de Charleroi

Couillet

Le Cheval Bayard franchit la Sambre.

Avant que les travaux de la R3 et l'implantation de Solvay n'incisent le paysage autour du cimetière de Couillet, la rue du Pas Bayard en longeait le mur oriental, bondissait dans le Fonds des Sept Chevaux et, par la Sibérie, renouait avec une rue homonyme située sur le territoire de Bouffioulx. De la Sibérie, le regard actuel peut encore plonger, par-delà le Bois de Boubier, vers la Sambre qui gagne lentement Châtelet, entre l'Egypte noire des terrils morts. Cette partie orientale de la commune témoigne de l'existence du lieudit «Pas Bayard». La mention en est très ancienne, puisqu'on la trouve dans un acte de 1364 : «au dessuz de la pierre bayart». Elle est donc contemporaine de celle du Rocher Bayard à Dinant.

Recouverte par des bassins industriels, cette pierre a cessé d'être visible. Jadis, on pouvait approcher ce bloc de grès dans lequel res¬tait gravée l'empreinte d'un fer à cheval d'une quinzaine de centimètres d'ouverture. Grise, de forme irrégulière, orientée vers le nord, la pierre Bayard gisait presque au ras du sol. Elle mesurait cinquante centimètres de longueur, mais, à l'origine, elle devait avoir des dimensions plus imposantes. Les enfants la transformaient en château-fort ou en refuge au cours de leurs jeux. On pouvait mettre la main dans l'empreinte du sabot légendaire. On pouvait, par ce geste, renouer avec les célèbres aventures du coursier Bayard et des quatre fils Aymon.

Un haut baron, Aymon de Dordone, était allé, un jour de Pentecôte, à Paris, présenter à son suzerain Charlemagne ses quatre fils : Renaud, Alard, Guichard et Richard. L'empereur les avait reçus et traités avec honneur. Il les avait armés chevaliers de sa main. Mais le lendemain même de l'adoubement, Renaud joua aux échecs avec Bertolai et se querella avec ce neveu de Charlemagne. Bertolai l'injuria et le frappa au visage. Renaud demanda justice à l'empereur qui, à son tour, l'outragea et le frappa. Sur le champ, Renaud tua Bertolai et s'enfuit, avec ses trois frères, se réfugier au fond de l'Ardenne. Sur le bord de la Meuse, ils avaient construit Montessor, un château fortifié où ils trouvèrent la sécurité.

Mais un pèlerin, revenant de Saint-Remacle de Stavelot, apprit à Charlemagne où se cachaient Renaud et ses frères.

L'empereur rassembla une armée formidable et vint mettre le siège devant le château. Ce dernier, perché sur un rocher, se voulait imprenable. Dans un pré, quelques hommes d'armes dressèrent la tente impériale coiffée d'un aigle d'or. Cet aigle qui, tant de fois, avait mis les Sarrasins en fuite, n'effraya ni Renaud ni ses frères. Les assauts redoublèrent de vigueur et de brutalité, mais Montessor résistait. Un soir d'hiver, Hervieu de Lausanne se pré¬senta à l'une des portes dérobées du château. Il dit à Renaud toute sa haine pour l'empereur et demanda asile. Le fils d'Aymon ne put le laisser au-dehors par cette rigueur hivernale : le lendemain, on aurait trouvé son cadavre gelé, moulé par la neige ou déchiqueté par les loups. Renaud accorda l'hospitalité à Hervieu qui, on s'en doute, n'était qu'un félon et un traître : il avait promis à Charlemagne de lui livrer les quatre paladins en échange de cinq lieues de terre à l'entour de Montessor.

La nuit suivante, Hervieu se leva, courut à la bretèche, ouvrit une poterne, tua les guetteurs et abaissa le pont-levis. Cent hommes se ruèrent dans le château et y mirent le feu. Les quatre fils Aymon durent céder au nombre et, sur le dos de Bayard, gagnèrent la forêt d’Ardenne. Charlemagne ne désarma pas : sans relâche, durant des années, il les poursuivit de refuge en refuge. Pour leur salut, les quatre cavaliers possédaient deux complices : Bayard, le coursier aux bonds prodigieux qu'ils chevauchaient ensemble, et leur cousin, l'enchanteur Maugis d'Aigremont, dont la bonne humeur et le talent de magicien les réconfortaient sans désemparer.

Après de longues luttes, Charlemagne, dont la haine était toujours aussi vivace, mais que ses pairs et barons menaçaient d'abandonner, dut se résoudre à faire la paix. Les conditions furent impitoyables pour Renaud. Le vassal devait s'éloigner du pays de ses ancêtres et accomplir le pèlerinage au Saint-Sépulcre. Le fidèle étalon Bayard devait être livré à l'empereur. Renaud accepta et prit le bâton de pèlerin. Charlemagne se déshonora en voulant se venger sur Bayard. A Liège, du haut d'un pont, il le fit précipiter dans la Meuse, une meule au cou. Mais le destrier brisa la meule avec ses sabots, se libéra, atteignit la rive et, libre, superbe, gagna la forêt d'Ardenne.

Telle est la chanson de geste des quatre fils Aymon, résumée dans presque son entier. Ce thème de Renaud de Montauban est connu par un premier manuscrit du 13ème, voire du 12ème siècle. Mais à côté de cette œuvre littéraire est né le Bayard populaire. Partout en Wallonie, la toponymie atteste le passage légendaire du coursier et de ses quatre cavaliers. Le château de Poilvache est parfois assimilé à Montessor, où les quatre fils Aymon bravèrent la colère de Charlemagne. L'imagination de nos ancêtres a ensuite semé de lieux-dits tout leur itinéraire. A quelques kilomètres de Poilvache s'ouvrent les Fonds de Leffe que Bayard franchit d'un bond en y laissant l'empreinte de son élan. Près de Dinant, un Pas Bayard est attesté dès 1355. Ce Rocher Bayard, haut de quarante mètres, rappelle un autre saut prodigieux, alors que les quatre fuyards viennent d'apercevoir les soldats de Charlemagne et leurs cimiers de fer qui brillent au soleil de la crête. Ici encore, le sabot du coursier restera gravé dans la pierre.

On se souvient qu'à la fin du récit, Bayard, qui a perdu Renaud, s'enfonce en solitaire dans les hautes futaies ardennaises. Les paysans essaient de l'apercevoir. En vain. Seuls quelques charbonniers l'entendent hennir pour saluer le soleil levant. Parfois, le superbe animal suit un appel invisible venu du fond des bois fouettés par la brume. Alors, il repart au grand galop, traçant une chevauchée orientée sud-est nord-ouest, de la Semois à la Meuse. Remarquons que sa solitude est marquée symboliquement par le soleil : il salue l'aube et sa trajectoire est orientée du levant, là où est parti Renaud, vers le couchant, où meurt toute chose avec la nuit. Sa course solitaire passe par Dinant, où il reconnaît la falaise abrupte et l'aiguille de roche que son sabot a détachée jadis. Sa quête vers le couchant l'emmène de plus en plus loin. Au Pas Bayard, à Couillet, il appuie son élan, franchit d'un seul bond la Sambre et laisse dans la pierre l'empreinte de son exploit(1).

Au-delà, c'est l'inconnu, d'autres terres, d'autres attentes. C'est en vain qu'il cherchera, sur la rive gauche de la Sambre, le souvenir du château mort et de ses quatre maîtres : Alard, l'aîné, le savant, Renaud, le puîné, le vaillant, Guichard, le bon, et Richard, l'impulsif cadet...

  1. Une autre tradition affirme que le vaillant coursier revenait vers la Meuse, qu'il ne fit qu'un bond de Charleroi à Couillet et qu'il retomba sur le rocher en y laissant la trace que l'on sait.

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