Accueil --> Légendes du pays de Charleroi --> Gargantua chez les Belges.


Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes et contes du pays de Charleroi

Farciennes

Gargantua chez les Belges.

Un feu mordoré crépitait dans l'âtre. J'en oubliais la pluie du dehors. - Savez-vous qu'avant d'être faucheur et bûcheron, Gargantua a bu chez nous aux rivières?

Le conteur me surprit. Je refermai sans remords le précieux ouvrage relié que je tenais en main. Le vieux, qui me voyait si intéressé, bourra sa pipe et reprit la parole : - Il y a longtemps, Gargantua, dans une de ses longues pérégrinations, vint au pays de Charleroi, qui alors ne se nommait pas ainsi, et passa par Farciennes. Il se reposa, assis sur cette montagne voisine que vous apercevez par la fenêtre, là-bas, à droite. Tiraillé par une grande soif, il se prépara à la satisfaire. Vous savez que notre belle Sambre coule entre deux hautes côtes. L'une, nommée colline du Perrier (Pierrier), est à droite de l'eau, sur le hameau nommé Tergnée. C'est là, rappelez-vous, qu'on trouva trace de vampires.

«Quant à la rive gauche, avec le reste du village, elle porte le nom de colline du Louât. Gargantua, engagé par la limpidité de la rivière, mit un genou sur le Perrier et l'autre sur le Louât, après avoir pris soin d'y amasser deux tas d'herbes pour garder propre chaque jambe de sa culotte neuve; puis il plaça les mains sur les deux bords de notre Sambre et, baissant la tête au niveau de l'eau, il se mit à boire à même le courant. Ce fut court, mais bon.

«Les flots attirés par la puissante aspiration de Gargantua se précipitèrent dans son gosier avec tous les poissons qui y nageaient; les eaux reniflées remontèrent même le courant et la rivière agitée fut subitement réduite d'un tiers.

«Cependant, le géant ne reprit qu'une fois haleine et s'arrêta au milieu de sa soif, de crainte de mettre la Sambre à sec et de priver d'eau les paysans voisins, car il n'était pas malfaisant, notre Gargantua, quoi qu'on en dise. Les enfants ne le fuyaient pas et il se plaisait à parler avec eux.
- En fait, la population était plus impressionnée par son appétit, dis-je. «Avoir un ventre de Gargantua, un estomac, une bouche de Gargantua, manger comme Gargantua», voilà des dictons populaires au pays de Charleroi...
- Un appétit qui n'avait d'égal que sa soif. En effet, le géant dut arrêter ses libations pour ne pas vider la Sambre. Quand il releva la tête, il vit devant lui, sur le bord de la rivière, un malicieux polisson qui le regardait d'un air narquois.
- Que veux-tu, toi? lui demanda le colosse. Tu as l'air de te moquer de moi!
- Oh! nenni, Monseigneur, je ne voudrais pas vous manquer de respect : vous n'avez jamais fait de mal à mes camarades.
- Mais que me veux-tu?
- Eh bien! N'avez-vous rien senti passer avec l'eau par votre gosier?
- Rien que je sache, l'eau n'est-elle pas pure et limpide?
- Pure et limpide, mais elle porte des bateaux et vous en avez avalé un, qui descendait le cours derrière vous.
- Crois-tu, gamin? Il me semble en effet qu'il y avait là un bateau.
- Et vous l'avez avalé sans façon, avec gréement et mariniers!
- Ah! Voilà pourquoi j'ai senti passer une barbauche, s'exclama Gargantua, qui employait ainsi un de nos mots wallons désignant une barbe de plume ou tout autre fragment aussi mince pouvant se trouver dans l'eau.

Le royaume légendaire de Gargantua coïncide à peu près avec l'expansion de la langue française. Des rives de la Sambre aux abords de Montpellier, des Drances valaisannes à la côte vendéenne, nous retrouvons la présence du sympathique géant. Mais où est née sa légende?

Tout commence, semble-t-il, au Mont Gargan, appelé également le Mont Tombe. C'est le sanctuaire préchrétien le plus important de la Gaule, dédié à Bélénus, l'Apollon des Celtes et à son divin fils, Gargan. C'est un lieu de périls où les flots de la mer viennent se briser contre des rochers immuables et grandioses. C'est, aujourd'hui, un des lieux les plus touristiques de France : le Mont Saint-Michel.

En ce temps-là, le Mont Gargan était hanté par un monstre ailé. Afin d'y assurer la domination de la religion chrétienne, on employa les grands moyens et l'archange saint Michel en personne fut appelé à la rescousse. Il terrassa le monstre, c'est-à-dire le diable, le mal.

A ce stade de la légende, on soupçonne donc un Gargantua primitif, qui a la forme d'un serpent et qui, selon des rites perdus, va se transformer en géant. A une époque inconnue, ce colosse prend le nom du lieu : Gargantua. C'est un géant pareil à un demi-dieu, civilisateur, fondateur de villes et enseignant l'art de creuser la terre. C'est le Gargantua des monts, des rochers et des eaux. C'est le géant des grandes pierres. C'est le personnage de la tradition orale populaire.

Un bois gravé de 1532 nous montre un Gargantua pareil à celui de nos paysans : jovial, sympathique, sans malfaisance. Car si la religion chrétienne a associé le personnage au diable, ce trait demeure inconnu du folklore : jamais Gargantua n'est effrayant ni néfaste. Tout au plus fait-il, parfois, figure de croque-mitaine. En Hainaut, des parents font peur aux gamins qui s'exposent à la pluie en leur criant: «El Gargôtia vos ara.»

Le héros est tel qu'on le rencontre dans notre légende sambrienne. Partout, il est de taille énorme, enjoué et buveur de rivières. Il agit en solitaire et n'avale bateaux et bateliers que par mégarde. Dans les Gorges du Tarn, il boit l'eau du torrent afin d'enrayer sa crue. A hauteur d'Aramon, il engloutit une large part du Rhône, tout en laissant, sur le lieu de son exploit, un menhir, une pierre qui tourne au premier coup de midi et de minuit. Il s'abreuve dans l'Ain, l'Allier, le Doubs, le Tarn, la Saône, l'Arc, l'Arve, la Marne, la Drance et... la Sambre. Il laisse sur son passage des buttes, des tertres, des pierres qui virent. Ces travaux gigantesques justifient un appétit démesuré. A l'instar de l'ogre de Perrault, notre géant se goinfre de moutons, veaux et cochons entiers, cuits à la broche.

C'est au 16ème siècle que, par le miracle de la lettre imprimée, le nom de Gargantua se répand partout. Au printemps 1532, un moine, bachelier en médecine de la faculté de Montpellier, arrive à Lyon et est engagé comme docteur à l’Hôtel-Dieu. Il a 36 ans. Il s'appelle François Rabelais.

Un jour, il découvre un de ces livrets populaires qu'on achète sur les foires et que les colporteurs répandent partout : Les Grandes Chroniques du Grand et Enorme Gargantua .Trois géants créés par l'enchanteur Merlin, Grandgosier, Galemelle et leur fils Gargantua y vivent des aventures prodigieuses qui les conduisent, entre autres, sur le site du Mont Saint-Michel.

Sur le champ, notre médecin décide de rédiger un livre du même cru. Pourquoi ne pas d'abord prendre Pantagruel comme héros, le convertir en fils de Gargantua et allonger sa taille de manière à en faire un géant? La météo et la mode vont guider ce choix. Car Pantagruel est, dans les mystères représentés sur les places publiques, ce petit diable qui jette du sel dans la bouche des ivrognes. Cette allégorie de la soif devrait amuser le peuple et lui faire oublier ses misères. 1532 est, en effet, une année à gosiers secs : une touffeur infernale, six mois de sécheresse, une catastrophe pour les paysans et les buveurs!

Mais pourquoi un géant? Parce que Rabelais pense d'abord à faire recette. Il sait qu'avec les saints, les personnages de grande taille sont les héros préférés du public. Le peuple se rit de leur appétit féroce et de leur soif inextinguible. Il se plaît à apprendre comment, en marchant, en frappant, en s'asseyant ou en projetant un objet familier, ces colosses ont créé un ravin, une gorge, un fleuve, une cathédrale.

S'il éclaire la création de Rabelais, cet engouement populaire explique aussi pourquoi tant de nos légendes mettent en scène des géants.


Blason de Farciennes

Le blasonnement des armes de la commune est « bandé de vair et de gueules de six pièces, l'écu sommé d'une couronne à trois fleurons séparés par un groupe de trois perles et entouré du collier de la toison d'or. » (DC 33.1977, arrêté royal du 24 février 1978 publié au Moniteur belge le 26 mai 1978) Ces armes, confirmées après la fusion des communes, sont identiques à celles accordées à la commune en 1955, qui étaient celles des comtes de Bucquoy de la maison de Longueval.


Accueil --> Légendes du pays de Charleroi --> Gargantua chez les Belges.

Site optimisé pour Firefox, résolution minimum 1024 x 768 px

Flux RSS : pour être au courant des derniers articles édités flux rss