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Message de sang

Légendes et contes du pays de Charleroi

Fontaine-l'Evêque

Dix-sept lignes d'écriture gothique retracent toute une vie. L'épitaphe, sur le cercueil de pierre blanche, rappelle que Nicolas, seigneur de Fontaine, fut évêque de Cambrai, homme noble et magnifique, glorieux dans les guerres, qu'il mourut l'an du Seigneur 1272, à Andernacht, en Allemagne, d'où son corps fut ramené à Cambrai et honorablement inhumé dans l'église cathédrale, le quatrième jour d'avril de la même année.

C'est là qu'il repose, définitivement replacé en 1882 auprès du plus célèbre de ses successeurs, l'archevêque Fénelon, l'auteur du fameux Télémaque.

Non moins illustre fut la carrière de Nicolas, troisième seigneur de Fontaine. Il s'adonna d'abord au métier des armes, embrassa l'état ecclésiastique, devint chanoine de Cambrai, archidiacre de Valenciennes et prévôt de Soignies. Le pape Innocent IV en personne le sacra évêque de Cambrai.

Nicolas de Fontaine arbitra des différends juridiques et fit exécuter des sentences pontificales. En 1257, charmé par ses vertus et son mérite, Richard d'Angleterre, élu empereur d'Allemagne, le nomma chancelier et prince de l'Empire. L'évêque Nicolas agrandit les palais du Gâteau et de Cambrai, construisit la forteresse de la Malmaison, près de la Sambre, aux confins du Cambrésis et du Hainaut. Il faisait battre monnaie en argent fin où il apparaissait de face, sans barbe, la tête couronnée de la mitre.

Si nous avons évoqué la figure de ce dignitaire, c'est que la terre de Fontaine a pris à ce prélat le surnom de l'Evêque qu'elle porte encore aujourd'hui. Les historiens semblent accréditer cette étymologie légendaire, malgré l'apparition tardive de la dénomination : plus de quatre-vingts ans après la mort de Nicolas. Le pouillé (état du diocèse) de Cambrai cite, au 14 ème siècle, le nom de «Fontainnes Episcopi». Toujours est-il que la légende, elle, s'est attachée à cette origine.

Le seigneur de Fontaine, nommé Nicolas, était homme de guerre. Il partageait avec les seigneurs de son temps la passion des conflits privés et des querelles de voisinage. Grande était sa joie quand la guerre s'étendait à tout un comté ou un duché et quand l'armée déployée ensanglantait champs et villages. On imagine mal, aujourd'hui, la cruauté et la barbarie dont faisaient preuve ces nobles féodaux du 13ème siècle. Nous en avons même perdu la mesure. Alors, appelons un témoin. Un témoin fiable, puisque presque contemporain : Bertrand de Born, mort en 1210. Il célèbre ici les plaisirs militaires des hommes de chevalerie comme Nicolas de Fontaine :

«J'ai grande allégresse quand je vois par la campagne rangés les cavaliers et les chevaux armés; ... et (il) me plaît en mon cœur quand je vois châteaux-forts assiégés et les palissades rompues et effondrées et l'armée sur le rivage (...)» Masses d'armes, épées, heaumes de couleur, écus, nous les verrons tranchés et en pièces dès l'entrée du combat, et maints vassaux frappés ensemble, par quoi divagueront les chevaux des morts et des blessés (...). Tout homme de bon lignage ne pense plus qu'à briser tête et bras. Je vous le dis, je ne trouve point autant de saveur dans le boire ni le dormir qu'à entendre le cri : «A eux!» s'élever des deux côtés, le hennissement des chevaux vides de cavaliers sous l'ombrage et les appels «Au secours! Au secours! » qu'à voir par delà les fossés tomber grands et petits sur l'herbe qu'à voir enfin les morts qui dans leurs flancs ont encore les tronçons des lances avec leurs pennons.»

Voilà ce que signifient les mots «être un homme de guerre» quand on évoque le 13ème siècle. Tel était donc l'univers brutal du seigneur Nicolas. Un univers de cris, de bannières au vent, de destriers, de heaumes et d'estocs.

Au retour d'une de ses campagnes, Nicolas se reposait sur ses terres, non loin du bois de la Charbonnière. Afin de se désaltérer, il se pencha vers la source et joignit les mains en conque. Soudain, il se recula, terrifié : des caractères de sang surgissaient du sable et montaient vers lui. Vingt fois, croyant à une hallucination, il agita violemment l'eau, vingt fois les lettres en désordre remontèrent vers lui.

Bouleversé, il retourna au château et s'y enferma pour la nuit. L'événement agita ses rêves: des corps se tordaient dans un immense désert de sable et se traînaient vers une fontaine qu'ils ne cessaient d'ensanglanter en voulant boire. Des preux décapités caracolaient sur des chevaux faméliques, tandis que leurs varlets s'essoufflaient en vaine course pour leur rendre leur tête morte.

Pendant toute la nuit, Nicolas vit des alphabets entiers de lettres qu'il ne comprenait pas, mais qui s'obstinaient à couler des ventres tranchés et des armures disjointes. Il se voyait en croisé, émasculé par des femmes sarrasines. Et toujours ces lettres qui lui brûlaient les tempes et lui pelaient les yeux. Un rayon de feu perça sa joue: c'était l'aube, enfin!

Dès potron-minet, Nicolas voulut envoyer ses gens auprès de la fontaine, avec ordre de la combler, mais une force invisible le retint. Malgré lui, il retourna au bord de la source maudite. Il s'en approcha, visiblement inquiet. Il revint le lendemain et toujours la rouge inscription se dessinait sur le sable blanc.

Nicolas comprit l'avertissement. Il se mit à genoux, promit de ranger les armes et de renoncer à ses passions belliqueuses. Il entra au service du Dieu de paix et de miséricorde et occupa le siège épiscopal de Cambrai. Pour consacrer le souvenir de cette conversion, on ajouta au nom de Fontaine celui de l'Evêque.



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