Accueil --> Légendes du pays de Charleroi --> Les Nutons.


Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Les Nutons.

Légendes et contes du pays de Charleroi

Gilly

De l'abbaye de Soleilmont, si l'on dirigeait, jadis, son regard vers le couchant, on apercevait, barrant l'horizon, une hauteur couverte de bois. Le lieu était nommé Mont du Soleil. La légende affirmait que l'abbaye en tirait son nom(1) et qu'avant l'évangélisation de la région, les habitants de l'endroit, les Gentils, escaladaient ce tertre afin d'y adorer l'idole solaire. Mais le christianisme mit fin à ces pratiques, convertit le peuple des Gentils et personne ne gravit plus jamais le Mont du Soleil. Indifférents, les équinoxes passèrent... Un jour, on vit paraître sur cette éminence «des petits hommes réels et véritables en apparence» qui sortaient des trous et des tanières creusés à flanc de coteau. On en vit quatre, puis dix, puis cent. C'est ainsi qu'au fil des temps, le Mont du Soleil prit le nom des ses nouveaux occupants: les Nutons.

Les Nutons étaient de taille minuscule, «la hauteur de nos jambes». Ils avaient le teint basané, les yeux noirs et vifs, la mine éveillée et agréable. Ils ressemblaient à des vieillards alertes, à des petits vieux papas. Jamais ils ne se montraient pendant le jour. La nuit, certains s'égayaient en dehors des grottes. Il leur arrivait d'en profiter pour rentrer une récolte menacée par l'orage.

L'été, ils sortaient en groupe et dansaient en rond dans les champs. Génies bienveillants, il fallait se garder de les blesser ou de les provoquer. Ils étaient taciturnes, ne répondaient pas aux questions et personne ne les avait jamais entendus parler. Certains Nutons avaient un sacré tempérament, s'amourachaient des jolies filles et allaient même jusqu'à les enlever. Mais il semble que ceux de Gilly aient eu plus de tempérance. A moins que les filles de l'endroit ne les aient guère inspirés. Toujours est-il que le clergé de Soleilmont voyait d'un très mauvais œil le voisinage de ces lutins : il croyait que les Nutons étaient des petits diables qui cherchaient à dévoyer les fidèles à la foi chancelante.

Ces nains avaient pourtant des mœurs charmantes. Ils étaient d'excellents ouvriers, d'habiles forgerons, rémouleurs, taillandiers, chaudronniers, tisserands ou cordonniers. De plus, ils mettaient leurs talents au service des humains. Au crépuscule, les Gilliciens venaient déposer, devant les grottes, du linge à blanchir, de la vaisselle à nettoyer, des objets à réparer. Ils y joignaient un salaire en nature : un pain, un pot de lait, des tranches de lard. Le lendemain, ils retrouvaient la vaisselle étincelante, l'outil réparé, la faux aiguisée. Quant aux Nutonnes, elles étaient d'habiles lingères. Les paysannes de Gilly leur apportaient, le soir, un panier rempli de linge que couronnait, bien en évidence, une délicieuse friandise. Le matin, dès l'aube, le linge resplendissait, poli, plissé, plié et replié.

Ces bons rapports entre Nutons et campagnards cessèrent brusquement. Par pure méchanceté, des habitants du village mêlèrent de la cendre, de la terre et même pire à la pâte du pain qu'ils offraient aux petits hommes. Certains obstruèrent l'entrée de quelques grottes. D'autres vinrent satisfaire aux nécessités de la nature devant les tanières des nains. C'en était trop! Les Nutons plièrent bagage et désertèrent le Mont du Soleil. Courroucés, se sentant méprisés et outragés, ils quittèrent le pays pour ne plus jamais y paraître.

Un mot encore. Quelle est l'origine de ces petits êtres? Leur nom, semble-t-il, tire son origine du dieu latin de la mer. Neptune avait son domicile dans les grottes bordant les eaux. Son nom a vite désigné les démons qui peuplaient des anfractuosités marines ou non, puis il a pris des formes diverses : netun en ancien français, puis nuiton, sous l'influence du mot nuit et finalement, en français moderne lutin avec les stades nuton et lûton que seul le wallon atteste encore.

De génies et monstres marins, ces nutons sont devenus des démons ayant commerce charnel avec les femmes. On retrouve, emmurée dans l'église de Celles, une pierre votive du Vème siècle qui leur est dédiée : «Par suite d'un vœu en l'honneur de la divinité des Neutons, (NEVTTO), Tagausius a élevé cet autel, volontiers et à juste titre». Le christianisme, une fois installé dans nos régions, n'a nullement nié l'existence de ces dieux du paganisme. Il les a laissés subsister, mais en tant que démons. Les nutons ont enfin perdu tout caractère précis et sont simplement devenus des lutins. D'autres divinités païennes ont ainsi donné naissance à des appellations romanes d'êtres fantastiques : la déesse Fata survit dans le français «fée»; le dieu des morts Orcus semble être à l'origine de P«ogre» de nos contes(2)

Quant aux nutons, notre région comptait plusieurs sites hantés par ces sympathiques lutins : des nutons dans les grottes de Loverval, un Trô des Nutons à proximité de la place de Villers-Poterie et à Aiseau.

On imagina aussi une de leurs habitations dans la grotte située à l'emplacement actuel du parc des comtes d'Oultremont à Presles. A Jumet, la Culée Molle était peuplée de petits êtres mystérieux que la tradition nommait les «Djipsines». (Peut-on rapprocher ce mot wallon du français égyptien ou de l'anglais gipsy, qui signifie bohémien, nomade, romanichelle?). Ces cousins jumetois des nutons étaient, comme eux, troglodytes, pacifiques et serviables. Là encore, les ménagères déposaient devant leurs grottes du linge sale accompagné d'un peu de nourriture. Les Djipsines, dont c'était la spécialité, leur assuraient, dès le lendemain, une lessive propre et blanchie sur pré. A Godarville, les nutons vivaient dans des creux de terrains en forme d'entonnoirs, des trous sans fond produits par les sables mouvants.

Ainsi, partout, l'existence de ces petits êtres a toujours témoigné du besoin qu'avaient nos ancêtres de peupler, par l'imagination, des endroits de mystère et de crainte qu'ils ne pouvaient ou n'osaient explorer.

  1. Cette étymologie est purement populaire puisque l'endroit se nomme Solremont, pour Sorelmont, dès 1185.
  2. Une autre hypothèse avance une filiation entre «augure» et ogre.

Vos commentaires

Vous désirez déposer un commentaire ? Cliquez ici...



Accueil --> Légendes du pays de Charleroi --> Les Nutons.

Site optimisé pour Firefox, résolution minimum 1024 x 768 px

Flux RSS : pour être au courant des derniers articles édités flux rss