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Les Sabbats de Soleilmont.

Légendes et contes du pays de Charleroi

Gilly

- J'en suis, veux-tu en être ?
C'est ainsi que tout avait commencé.

Grégoire, un journalier de Gilly (on disait Gilliers à l'époque) était allé rechercher les bottes de son maître chez l'ouvrier cordonnier Colas Boitout. Pendant que le jour finissait, ils avaient traîné tous deux dans l'atelier aux senteurs de colle et de cuir. Ils avaient parlé de tout et de rien, mais, avant de le laisser repartir, Colas avait pris Grégoire par le bras et lui avait murmuré des choses secrètes. Il lui avait aussi avoué:

- Je suis engagé dans cette partie-là.
- Quelle partie veux-tu dire ?
- La foi des anciens âges...
- Tu veux dire...
- Oui, Grégoire, le pacte avec Satan, le sabbat, les maléfices, j'en suis. Veux-tu en être ?

Grégoire avait été effrayé et, en même temps, mystérieusement attiré. Il était revenu voir Colas et lui avait parlé de ses hésitations. Mais le cordonnier les avait habilement balayées. Il l'avait incité à se rendre avec lui dans le bois de Soleilmont, près de l'ancien ermitage Saint-Barthélémy. Et maintenant, le jeune homme y était, précédé de Colas Boitout qui s'avançait prudemment par des chemins dérobés. La lune doublait leurs silhouettes.

Ils se trouvèrent bientôt dans une vaste clairière, en partie cultivée, située non loin d'un ravin profond appelé L'Ermitage. Devant eux, un édifice assez vaste, construit en moellons. C'était l'ancienne retraite des ermites et, déjà, une végétation insidieuse commençait à enlacer un mur, à dévergonder une porte. Seul Colas savait que ce lieu hanté était terre de sabbats. Grégoire commençait à s'en douter.

Il se souvenait qu'un de ses confrères, ouvrier embauché dans une ferme dépendant de l'abbaye, lui avait, un jour, fait part d'une étrange aventure. Il menait, comme chaque soir, les chevaux de la censé paître près du bois de Soleilmont et devait les y laisser jusqu'au matin.

A minuit, il entendit soudain une musique composée de hurlements et de sifflements. Affolées, les bêtes sautèrent la clôture en file indienne, se précipitèrent vers le monastère, dont elles firent le tour trois ou quatre fois avant de réintégrer leur écurie.

Le valet, qui poursuivait l'étrange chevauchée, longea le vaste étang et s'arrêta net, les yeux écarquilles : il y avait là, au milieu de la nappe d'eau, un feu très vif, mais personne autour du brasier. Qui l'avait allumé? Pour qui brûlait cet incendie magique? Il courut à toutes jambes vers l'abbaye, à la recherche de ses chevaux.

Colas Boitout poussa la porte et invita Grégoire à pénétrer dans une grande salle richement décorée et pourvue de fauteuils. La table immense croulait sous les victuailles. Le vin coulait à flots. Une musique de flûte s'insinuait parmi les invités somptueusement vêtus. Grégoire croyait rêver...

- Si tu veux venir avec moi, à cinquante mètres de l'Ermitage, proposa Colas, tu verras un homme venir à toi. C'est notre Maître. Il te proposera de t'engager dans notre société. Si tu refuses, il te renverra d'où tu viens. Si tu acceptes, l'engagement est de sept ans et tu gagneras une «plaquette» (ancienne monnaie) par jour.

Colas fit ce soir-là un nouvel adepte. Ils revinrent tous deux dans la grande salle. Des sorcières, parfois jolies, cherchèrent à étourdir le néophyte par des danses vertigineuses. L'une d'elles se propulsa au loin et l'emmena. Cette nuit-là, ils firent l'amour longtemps. Les seins lourds, les lèvres gourmandes, les hanches expertes, l'officiante lui procura le plus sensuel plaisir qu'il eût jamais connu. Avant l'aube, la sorcière se délia du corps du jeune valet, musclé et brûlé par l'été des moissons...

A partir de cette nuit, Grégoire apprit que toute chose possédait sa face obscure, sous l'égide et la présidence de Satan. Ce monde, en fait, fascinait les gens du peuple souvent illettrés. Le principal attrait du sabbat se trouvait dans la lubricité. Les anciennes superstitions demeuraient vivaces. On jetait des sorts, on semait la maladie et la disette, on usait de tous les pouvoirs qui venaient du Malin. On se rendait aux carrefours avec une poule noire. On recherchait les chemins croisés, les lieux sauvages, les arbres isolés pour y invoquer le démon.

Au faubourg de Charleroi (Charnoy, à l'époque), deux fois l'an, la nuit des Ames (le 2 novembre) et celle du Jeudi-Saint, sorciers et sorcières des environs dansaient dans un champ qu'on nomme encore «terre à l'danse».

A Gilly, à la lisière du bois de Lobbes, le lieudit Noir Dieu était réputé maudit. C'est là, en effet, que sur ordre de la Haute-Cour, les bourreaux livraient aux flammes les adeptes du sabbat et de la messe noire. Le souvenir des exécutions, l'aspect maléfique du site avaient attiré au Noir Dieu les gens de sorcellerie qui y organisaient leurs sabbats.

Demain, la Saint-Jean! La nuit vient vite. Ce soir est date de grand sabbat, comme la veille du Jeudi-Saint, de la Noël, de la Chandeleur et du premier mai. Neuf heures. Les fenêtres se ferment comme des paupières d'aveugles. La lune se lève sur le Noir Dieu et sur l'Ermitage de Soleilmont. C'est l'heure maléfique : la sorcière commence par se dénuder entièrement. D'une cachette connue d'elle seule, elle extrait un petit pot de pommade magique. C'est de la graisse de chat ou d'enfant mort sans baptême et déterré du cimetière. L'onguent est de couleur verte, mêlé d'herbes particulières que cultive soigneusement la dame ou qu'elle cueille dans les champs, qu'elle fait sécher et qu'elle réduit en poudre. Avec cette «poumâde», la sorcière oint soigneusement toutes les articulations de son corps puis elle saisit son balai et l'enfourche. Si elle est mariée et qu'elle se rend au sabbat à l'insu de son mari, elle dépose, sur le lit conjugal, un balai qui prendra sa forme et donnera le change. Dès qu'elle chevauche le manche, elle entonne une incantation magique :

Hop, makâ, rikette!
Par-dessus les haies et les buissons
Vole au diable encore plus loin.
Hop, makâ, riki, rikette!
Plus haut que les haies et les buissons
Au diable qui te possède avec les autres...

Et la sorcière s'envole. A Charleroi, elle est aussitôt changée en chouette et c'est ainsi qu'elle atterrit au cœur du sabbat. Parfois son diable, déguisé en vert-bouc, vient personnellement la chercher. Dans le bois de Soleilmont, tout autour d'un vaste cercle déjà piétiné, de petits monticules naturels se transforment en fauteuils pour le invitées. Des sorcières se rejoignent en l'air. Leurs cris aigus, leurs hurlements lugubres emplissent un ciel déjà sinistre. Partout des notes stridentes : «Tchouhoû! tchouhoû!». En vol, les macrales sont invisibles. On a parfois la chance de voir passer leur ombre fugace sur le sol noyé de lune. Les arbres leur servent d'aires de repos. A Gilly, ces coalitions infernales sont organisées en confréries présidées par une Dame-Sorcière à la Jarretière. Celle-ci vient justement de déclarer ouverte la cérémonie.

L'Hommage, d'abord : chacun embrasse le postérieur glacé de Satan qui trône au centre, sous la forme d'un bouc. Les fidèles énumèrent ensuite les maux qu'ils ont causés, les calamités qu'ils ont attirées. Puis viennent les danses. Chaque sorcière a son démon, chaque diable, sa diablesse. L'échange des partenaires est courant. A la ronde succède rapidement l'orgie. Les sexes se tendent, les mains caressent, les bouches s'accolent. Les corps nus se cherchent et se joignent. Entre deux étreintes, on se restaure, on boit force vins.

Cette nuit, le Maître intronise un nouvel initié. Il lui demande de renier Dieu et la Vierge, de cracher sur une hostie consacrée puis il le baptise avec du sang de crapaud. Le Diable transmet alors quelques secrets à ses élus tandis que deux loups-garous s'exercent à tramer leurs chaînes aux quatre coins du champ.

La cérémonie se termine à minuit ou avant le lever du jour. Aujourd'hui, c'est le chant du coq qui va dissiper le sabbat.

Les sorcières reprennent leur envol et se dispersent, qui vers Gilly, qui vers Montignies. Une attardée se hâte, craignant l'apparition de la funeste clarté. L'aube, déjà, illusionne les groseilles...

Une lueur mêlée de brume rampe vers le Noir Dieu déserté. Silence. Un oiseau se pose sur le vent.

Deux paysans, la fourche à l'épaule, fendent l'air immobile, encore froid. Le regard des arbres. La cloche de Soleilmont qui tinte au loin, doucement...

Un voiturier se hâte vers la censé de Martinroux. Déjà, il quitte l'orée humide et monte vers le vieux Campinaire pendant que Monsieur de Longbois gagne sa verrerie des Hamendes.

Le jour se démasque et efface les maléfices.

Les légendes meurent à l'aube...

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