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Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre premier

COMMENT L'EMPEREUR CHARLEMAGNE FIT CHEVALIERS «LES
QUATRE FILS AYMON» ET COMMENT LE DUC BEUVES D'AIGRE-
MONT TUA LOHIER (1), FILS DE CHARLEMAGNE, ET LE FUT AUSSI.

On lit dans l'histoire du roi Charlemagne, qu'une fois aux fêtes de la Pentecôte, il se tint une grande cour à Paris, après qu'il fut revenu des guerres de Lombardie, où il y avait eu un grand combat contre les Sarrasins, dont le chef se nommait Guerdelin-le-Fêne, qui fut tué par Charlemagne. Beaucoup de chevaliers furent tués, des ducs, des comtes, des princes, des barons, comme Salomon de Bretagne, Noël, comte du Mans, messire Arnould de Freulon, messire de Galeran de Bouillon, et plusieurs autres grands seigneurs. Les douze pairs de France vinrent à la cour, plusieurs Allemands, Anglais, Normands, Poitevins, Berules et Lombards s'y trouvèrent ; il y avait entre autres le vaillant duc Aymon qui avait amené ses quatre fils, à savoir : REGNAUT, ALLARD, GUICHARD et RICHARD, qui étaient beaux et courageux, et principalement Regnaut, qui était le plus grand que l'on put trouver au monde, car il avait la taille d'un géant.

Quand le roi vit toute la cour assemblée, il adressa ainsi la parole aux barons :
— Mes frères et amis, vous savez que c'est pour votre valeur que j'ai fait la conquête d'un grand nombre de villes, et mis sous ma puissance beaucoup de Sarrasins, témoin l'infidèle Guerdelin, que j'ai vaincu, et à qui j'ai fait embrasser la religion chrétienne, quoique j'aie perdu beaucoup de noblesse, par la faute de plusieurs de nos vassaux qui n'ont pas voulu nous secourir, quoique nous les eussions mandés, comme Gérard de Roussillon, le duc de Nanteuil et le duc Beuves d'Aigremont qui sont tous trois frères, dont je me plains à vous ; principalement le duc d'Aigremont. Je lui demanderai encore de me servir avec toute sa puissance, et en cas qu'il me refuse, je manderai tous mes sujets et amis, et j'irai assiéger Aigremont, et si nous pouvons le tenir, je le ferai pendre, et écorcher vif son fils Maugis ; je ferai aussi brûler sa femme et mettrai tout son pays à feu et à sang.

Alors le duc de Naimes de Bavière se leva et dit au roi :
— Sire, il n'est pas nécessaire de vous courroucer, mais si vous m'en croyez, vous enverrez un messager au duc d'Aigremont, vous le ferez accompagner. Il faut que ce soit un homme prudent qui remontre au duc ce dont vous le chargerez, et suivant sa réponse, vous verrez ce que vous aurez à faire.

Le roi lui répondit :
— J'approuve votre conseil.

Alors il pensa en lui-même quel messager il choisirait, qui serait assez hardi pour faire son message auprès du duc Beuves. Personne n'osa se proposer, car plusieurs étaient de sa famille, comme le duc Aymon de Dordonne qui était son frère ; car ils étaient quatre frères du même père et de la même mère.

Le roi fut irrité, et jura qu'il détruirait le pays du duc. Il appela ensuite son fils Lohier et lui dit :
— Mon fils, il faut que vous fassiez ce message ; vous mènerez avec vous cent chevaliers bien armés ; vous direz au duc Beuves que s'il ne se rend pas à ma cour pour la Saint-Jean prochain, j'irai assiéger Aigremont et détruire son pays, je le ferai pendre et son fils, et je ferai brûler sa femme.

Lohier et ses messagers partirent, mais un espion vint prévenir le duc Beuves. A ses barons, rassemblés chez lui, le duc Beuves d'Aigremont demanda conseil. Messire Simon l'invita à recevoir le fils de Charlemagne et à penser que sa famille et son pays risquaient d'être détruits. La femme du duc Beuves intervint dans le même sens, mais, irrité, le duc répondit qu'il n'obéirait pas à Charlemagne et qu'il trouverait bien des amis pour lui faire la guerre.

Les messagers du roi arrivèrent au château d'Aigre-mont, situé sur un rocher, flanqué de grosses tours. Imprenable, excepté par la famine. Lohier et ses chevaliers furent reçus par le duc Beuves, entouré de ses deux cents chevaliers, de sa femme et de son fils Maugis qui n'avait pas son pareil dans l'art de la nécromancie.

Lohier transmit le message de son père Charlemagne. Le duc Beuves ayant entendu les menaces de Charlemagne, s'irrita, dit qu'il refusait d'obéir. Lohier répliqua. Le duc Beuves, en colère, déclara que malheureux était celui qui venait faire un pareil message de la part de Charlemagne, et qu'il n'en rendrait jamais de nouvelles.

Malgré la prudence prêchée par un noble chevalier, le duc Beuves et Lohier s'irritèrent de plus en plus et, bientôt, un combat se livra dans la salle du château, entre le duc Beuves aidé de ses chevaliers et Lohier secondé par les siens.

Il y eut des morts et Lohier, lui-même, fut tué par le duc Beuves.

Sur les cent chevaliers qui accompagnaient Lohier, il en resta dix à qui le duc Beuves d'Aigremont donna la charge de reporter à Charlemagne le cadavre de son fils. On fit une bière pour y mettre le corps ; on le mit sur une charrette et le convoi partit vers Paris.

Pendant que se déroulaient ces événements, Charlemagne qui connaissait l'orgueil du duc d'Aigremont craignait pour son fils. Il le dit à ses barons. Le duc Aymon dit à Charlemagne que si le duc d'Aigremont a mal agi, il fallait se venger et il mit ses quatre fils Régnaut, Allard, Guichard et Richard au service du roi. Touché par cette offre, Charlemagne les fit chevaliers.

Après la cérémonie, Régnaut monta sur le bon cheval Bayard qui n'eut jamais son pareil, car il eut couru dix lieues sans s'arrêter. Le cheval lui avait été donné par son cousin Maugis.

Plus tard, un messager fatigué et blessé arriva et raconta à Charlemagne ce qui s'était passé au château d'Aigremont. Le roi fut saisi de douleur, puis, avec ses barons, il alla à la rencontre des chevaliers qui ramenaient le cadavre de son fils. On enterra Lohier à Saint-Germain des Prés.

Le duc Aymon dit à ses fils qu'il comprenait l'irritation de Charlemagne, mais qu'il fallait refuser d'aller combattre son frère le duc Beuves. Alors ils rentrèrent chez eux. Apprenant cela, Charlemagne se mit en colère et jura que Aymon et ses quatre fils le payeraient bien cher.

Charlemagne et ses barons firent recrue de gens d'armes. Le duc Beuves d'Aigremont l'apprit et, ayant mandé tous ses parents et amis, principalement ses frères Gérard de Roussillon, le duc de Nanteuil, il rassembla ainsi quatre-vingt mille combattants. Ils se mirent en route vers Troyes, à la rencontre des troupes de Charlemagne avec lesquelles ils engagèrent une bataille plus terrible encore. Le combat fut sanglant. Quatre mille hommes périrent en un jour. Les troupes du duc Beuves s'affaiblissaient tellement qu'il fût décidé d'envoyer trente des plus sages chevaliers au roi pour lui demander trêve et dire que le duc Beuves se repentait de la mort de son fils et que s'il lui plaisait d'avoir pitié, lui et ses chevaliers iraient le servir où bon lui semblerait, avec dix mille combattants.

Les messagers se présentèrent à Charlemagne. Quand celui-ci les eut entendus, il fronça les sourcils, et, cachant son visage, il réfléchit. Puis, ayant consulté Oger le Danois, mes-sire Salomon, Noël du Mans, Galeran de Bouillon, Oger de Langet, Léon de Frise et le duc Naimes de Bavière, il suivit le conseil de ce dernier qui l'incitait au pardon à la condition que le duc Beuves viendrait le servir à la Saint-Jean avec dix mille combattants et qu'il viendrait au plus tôt prêter le serment de fidélité.

Ayant appris ces conditions, les trois frères se mirent en chemise et, nus, se rendirent devant Charlemagne. Le duc Beuves d'Aigremont se jeta aux pieds du roi, implora sa grâce et lui jura fidélité jusqu'à la fin de ses jours. Charlemagne eut pitié et pardonna.

Un peu avant la Saint-Jean, le roi tint sa cour à Paris. Le duc Beuves d'Aigremont se mit en route pour s'y rendre avec ses chevaliers.

Le comte Ganelon, Foulques de Morillon, Harare et Béranger annoncèrent au roi que le duc Beuves d'Aigrement venait avec deux cents chevaliers ; et ils lui dirent :
— Comment pouvez-vous accepter les services d'un homme qui a tué votre fils, notre cousin ? Si vous le voulez, nous le vengerons.

— Ce serait trahison, dit le roi ; nous lui avons donné sauf-conduit ; toutefois faites à votre volonté, mais je ne prends rien sur moi ; prenez bien garde, le duc d'Aigrement est d'une grande famille, vous pourriez bien le payer cher.

— Sire, répondit Ganelon, ne vous inquiétez point ; il n'y a personne assez hardi pour combattre contre ma famille et moi. Je vous promets de partir demain matin avec deux mille combattants et nous vous vengerons.

Le roi répéta que c'était trahison.
— Qu'importe, dit Ganelon, il a bien tué votre fils par trahison.
— Faites donc comme vous voudrez ; pour moi, je ne m'en mêle aucunement.

Le lendemain matin, Ganelon et ses gens partirent de Paris avec quatre mille combattants ; ils s'arrêtèrent dans la vallée de Soissons, rencontrèrent le duc Beuves et ses gens. Quand Beuves le vit venir, il dit à ses gens :
— Voici venir des courtisans. Je ne sais ce que ce peut être, continua-t-il, car le roi est vindicatif ; et s'il a avec lui des traîtres, c'est surtout Foulques et Morillon. J'ai songé cette nuit qu'un Griffon venait d'en-haut et perçait mon écu et mes armes, il me déchirait les entrailles et pas un seul de mes hommes ne lui échappa.

Un des chevaliers lui dit qu'il ne devait pas s'effrayer d'un pareil songe.
— Je ne sais, dit le duc, ce que Dieu me réserve, mais je suis dans une inquiétude extrême.

Il commanda aussitôt à chacun de s'armer ; ce qui fut bientôt exécuté. Le comte Ganelon et Foulques de Morillon s'avancèrent à grands pas, et vinrent droit au duc Beuves lui disant qu'il avait bien mal agi d'avoir tué Lohier, fils aîné du roi, et qu'il subirait la peine avant qu'il fût nuit.

Quand le duc l'entendit, il commença à dire :
— Grand Dieu ! qui pourrait se méfier des traîtres ! Je croyais que le roi n'était pas aussi traître, mais je vois le contraire ; je vous assure que je vendrai cher ma vie à celui qui osera m'attaquer.

Alors ils commencèrent un combat terrible, dans lequel Ganelon tua Régnier, cousin du duc Beuves, et il s'écria :
— Frappez, chevaliers, ils ont bien mal fait d'avoir tué mon cousin Lohier.

Ils se jetèrent à grande force sur les gens du duc. Celui-ci se défendit vaillamment et frappa un chevalier nommé messire Faucon de façon telle qu'il l'abattit mort à terre. Il se mit ensuite à regretter ses deux frères et ses neveux.
— Hélas, cher fils, où êtes-vous à présent ! Que n'êtes-vous ici pour me secourir ! Si vous saviez ma situation, vous viendriez me secourir. Ah ! duc de Nanteuil et Gérard de Roussillon, vous ne me reverrez jamais ! Que n'êtes-vous instruits de la misérable entreprise du roi et du comte Ganelon, qui veu'ent me faire mourir cruellement ! Et vous, mes chers neveux Regnaut, Allard, Guichard et Richard, j'ai grand besoin de vous. Ah ! très courageux Regnaut ! s'il plaisait à Notre Seigneur que vous fussiez informé de la trahison à laquelle je suis livré, je suis bien persuadé que vous em-ployeriez toutes vos forces et votre courage pour m'en retirer.

Le combat fut terrible ; mais le duc Beuves d'Aigremont ne pouvait pas résister à tant de gens, car il n'avait avec lui que deux cents chevaliers, et les autres plus de quatre mille. On voyait des membres épars sur le champ de bataille, ce qui représentait un spectacle affreux. Ganelon vint ensuite frapper Thessaume de Blois et le tua, et fit reculer les gens du duc Beuves. Le duc d'Aigremont vit bien qu'il fallait partir. Il frappa un chevalier à mort ; il se battait en désespéré. Grand Dieu ! quel dommage de l'avoir trahi, car depuis il y eut plusieurs villes et châteaux ruinés, beaucoup de nobles y perdirent la vie. Le traître Ganelon fit une si grande destruction des gens du duc Beuves, que des deux cents barons qu'il avait amenés, il n'en restait plus que cinquante.

Le duc Beuves leur dit :
— Vous voyez que si nous ne nous défendons pas vaillamment, nous seront tous morts, ainsi il faut que chacun de nous en vaille trois.

Alors le duc frappa un chevalier nommé messire Helle, si fort qu'il le renversa à terre ; puis cria à haute voix :
— Frappons, barons.

La vallée était belle ; on entendait le bruit des coups qui retombaient sur les casques. Un nommé Griffon de Hautefeuille frappa le cheval du duc à la poitrine, de manière que le cheval tombe sous lui, en sorte que le duc, croyant atteindre le chevalier Griffon, laissa tomber le coup sur le cheval et le blessa. Le comte Ganelon vint alors sur le duc d'Aigrement et lui passa sa lance au travers du corps. Le duc Griffon le jeta dans la foule et lui passa son épée au travers du corps, en disant :
— Voilà la mort de Lohier vengée entièrement.

Le traître Ganelon et le seigneur d'Hautefeuille remontèrent à cheval. Ils allèrent contre les gens du duc qui se rendirent car ils n'étaient plus restés que dix ; ils leur firent jurer et promettre qu'ils porteraient le duc Beuves d'Aigremont ainsi que l'on avait fait porter le corps de Lohier à Paris. Lesdits chevaliers promirent de le faire. Ils mirent le corps dans une bière puis ils se mirent en chemin. Quand ils furent un peu éloignés de la place où l'action s'était passée, ils commencèrent à regretter la perte de leur maître et maudirent la noire trahison que le roi leur avait faite. Ainsi partirent les chevaliers dans la plus grande tristesse, faisant porter le corps du duc Beuves d'Aigremont qui ne cessa de saigner pendant l'espace de quatre lieues. Ils arrivèrent à Aigrement. Les nouvelles parvinrent bientôt à la duchesse qui n'eut pas sitôt appris la nouvelle, qu'elle et son fils Maugis n'eurent un chagrin très considérable. Les gens de ville et d'Eglise furent au devant de leur seigneur. Quand la duchesse vit son seigneur mort, elle tomba en faiblesse. Les gens d'Eglise emportèrent le corps dans la maîtresse église, où l'évêque l'enterra honorablement et célébra son service.

Son fils Maugis commença à dire :
— Grand Dieu ? quel dommage que ce seigneur ait été tué par une trahison aussi cruelle ! Si je vis longuement, le roi et les traîtres qui ont agi ainsi le payeront cher.

Il consola ainsi sa mère, et lui dit :
— Prenez patience, car mes oncles et mes cousins m'aideront à venger la mort de mon père. Nous retournerons aux traîtres Griffon et Ganelon, son fils, et on entendra parler de nous.

Et Maugis, avec ses gens, partit pour Paris.

Le château d'Aigremont au 18me siècle.

Le château d'Aigremont au 18me siècle. Gravure de Remacle le Loup. Archives du Muséo de la Vie Wallonne.

  1. Lohier = prénom synonyme de Lothaire (voir Avertissement).



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