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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre II

COMMENT GRIFFON ET GANELON, APRES AVOIR TUE LE DUC BEUVES, S'EN RETOURNERENT A PARIS, ET COMMENT REGNAUT TUA BERTHELOT, NEVEU DE CHARLEMAGNE, D'UN ECHIQUIER EN JOUANT AUX ECHECS, ET DE LA GUERRE QUI EN RESULTA.

Aux fêtes de la Pentecôte, l'empereur tint sa cour à Paris, après avoir fait la paix avec les frères du duc Beuves d'Aigremont. A cette fête vinrent Guillaume Anglais, Galeran de Bouillon, quinze rois, trente ducs et quarante comtes. Il y eut aussi le duc Aymon avec ses quatre fils, auxquels le roi dit :
— Je vous aime, vous et vos enfants, et je veux que Regnaut soit mon sénéchal, les autres frères auront aussi mes faveurs.
— Sire, dit Aymon, je vous remercie du grand honneur que vous me faites ainsi qu'à mes enfants. Sachez que nous vous servirons loyalement, mais vous m'avez bien fâché quand par trahison vous avez fait mourir le duc Beuves, mon frère, après lui avoir donné un sauf-conduit. Si je ne craignais votre puissance, nous nous en vengerions. Mais étant donné que mon frère Gérard vous a pardonné, je vous pardonne aussi.
— Aymon, dit le roi, vous pensez mieux que vous ne dites ; car l'offense qu'il m'a faite d'avoir tué mon fils Lohier méritait bien cela. Ainsi c'est l'un pour l'autre, et qu'il n'en soit plus question.
— Soit, dit le duc Aymon.

Alors Regnaut, Allard, Guichard et Richard vinrent dire :
— Sire, vous nous avez fait venir devant vous, mais sachez que nous ne vous aimons point, parce que vous avez fait mourir notre oncle le duc Beuves d'Aigremont.

Le roi les ayant entendus, rougit de colère et dit à Regnaut :
— Malheureux, retire-toi, car si je ne me retenais, je te ferais mettre dans une prison obscure que de longtemps tu ne verrais la lumière.
— Sire, dit Regnaut, ce ne serait pas la trahison qui peut vous en empêcher, mais puisque vous ne voulez pas en entendre parler, nous prenons à témoin l'assemblée de quinze rois, trente ducs et quarante comtes.

Ils allèrent entendre la messe, revinrent au palais et se mirent à table, excepté le roi Salomon et le duc Godefroi qui servirent ce jour-là. Regnaut ne put manger, à cause de l'outrage qu'il avait reçu, et disait lui-même :
— Hélas ! je ne pourrai donc pas me venger de celui qui a fait mourir mon oncle si cruellement.

Mais ses frères le remirent un peu. Après le dîner, les barons sortirent pour aller se divertir. Berthelot, le neveu du roi, appela Regnaut pour jouer aux échecs qui étaient d'ivoire et l'échiquier d'or massif. Ils jouèrent ensemble et il s'éleva une dispute si vive entre eux, que Berthelot insulta Regnaut et le blessa jusqu'au sang. Regnaut jura qu'il s'en vengerait. Il prit aussitôt l'échiquier et en frappa si rudement Berthelot sur la tête qu'il l'étendit mort à ses pieds. Alors il se fit un grand bruit dans le palais au sujet de Berthelot que Regnaut, fils d'Aymon, avait tué. Le roi s'écria aussitôt :
— Barons, prenez garde que Regnaut ne vous échappe, car si je puis le tenir, je le ferais mourir cruellement parce qu'il a tué mon cher neveu.

Ils coururent sur lui. Mais, aidé de ses parents, il se défendit courageusement et il y eut un combat sanglant dans tout le palais. Maugis, cousin de Regnaut, faisait grand carnage. Pendant que ces horreurs se passaient dans le palais, Regnaut, ses trois frères et Maugis se retirèrent ; et étant montés à cheval, ils partirent de Paris et retournèrent en leur château. Quand l'empereur sut que Regnaut et ses frères étaient partis, il fit armer deux mille chevaliers pour les poursuivre, mais Regnaut et ses frères ne s'arrêtèrent point avant qu'ils ne fussent en un lieu sûr. Alors ils firent paître leurs chevaux. Regnaut commença à dire :
— Grand Dieu ! qui avez souffert la mort et passion pour nous, daignez aujourd'hui préserver mes frères et mon cousin de tomber entre les mains du roi.

Les Français les poursuivaient, et un chevalier qui était monté sur un meilleur cheval que les autres, atteignit Regnaut et lui dit :
— Chevalier audacieux, vous vous rendrez au pouvoir de Charlemagne.

Regnaut se retourna et d'un coup de lance l'abattit à ses pieds. Il prit ensuite le cheval qu'il donna à son frère Allard. Il vint à un autre et le tua d'un coup d'épée qu'il lui donna sur la tête. Il donna le cheval à son frère Guichard. Un des chevaliers du roi vint et s'écria :
— Malheureux ! Je vous livrerai au roi qui vous fera pendre.
— Nous ne craignons rien, répondit Regnaut.

Il le partagea d'un grand coup d'épée et se saisit de son cheval qu'il donna à son frère Richard qui en avait besoin.
Les trois frères bien montés, et Regnaut sur Bayard, ayant son cousin monté en croupe, étaient poursuivis par le roi, mais en vain, car la nuit était si obscure que les quatre frères et leur cousin rentrèrent rassurés. Ils trouvèrent leur mère qui courut les embrasser, et leur demanda où était leur père et s'ils étaient sortis de la cour avec disgrâce.
— Oui, madame, répondit Regnaut, car j'ai tué Berthelot, neveu du roi, parce qu'il m'a maltraité jusqu'au sang.

Quand la dame l'eut entendu parler, elle tomba en faiblesse. Reprenant ses esprits, elle lui dit :
— Mon fils, pourquoi avez-vous agi de la sorte ? Vous vous en repentirez un jour et serez la cause de la perte de votre père. Ainsi je vous prie d'aller prendre beaucoup d'or et d'argent dans mon trésor et de vous en aller, car si votre père vous trouve, il vous rendra au roi.
— Dame, lui dit Regnaut, croyez-vous que notre père soit assez cruel pour nous livrer à notre ennemi ?

Regnaut, ses trois frères et Maugis ne voulurent rester plus longtemps. Ils prirent beaucoup d'or au trésor de leur mère et partirent en l'embrassant, les larmes aux yeux, car elle n'espérait jamais les revoir. Ils partirent tous avec leur cousin Maugis et entrèrent dans la forêt des Ardennes dans la vallée aux Fées. Ils arrivèrent à la rivière « l'Ourthe », et firent bâtir un beau château, au pied duquel coulait ladite rivière. Quand ce château fut fini, ils l'appelèrent Montfort. C'était le plus fort qu'il y eut depuis là jusqu'à Montpellier, car il était environné de trois murs et de profonds fossés, et il n'appréhendait pas le roi, sinon par trahison.

Le roi était à Paris qui regrettait la perte de son neveu Berthelot. Il fit venir devant lui le bon duc Aymon et le fit jurer que jamais il n'aiderait ses enfants, et qu'en tel lieu qu'il les trouverait, s'il pouvait les prendre, il les livrerait. Aymon n'osa le contredire, et lui jura tout, dont il fut repris. Après cette promesse faite, il s'en alla fort irrité de Paris et retourna chez lui. Quand la maîtresse le vit, elle se mit à pleurer. Il devina bientôt le sujet et lui demanda où étaient ses enfants.
— Messire, je n'en sais rien, mais pourquoi souffrîtes-vous que Regnaut tuât Berthelot ? Regnaut est un des plus vaillants chevaliers qu'il y ait eu depuis longtemps ; car toute l'assemblée n'a pu l'empêcher de tuer Berthelot.
— Regnaut avait dit au roi de lui faire raison de la mort de son oncle, mais le roi le lui refusa outrageusement ; ce qui, avec la dispute qu'ils eurent aux échecs, fut cause de la mort de Berthelot. Le roi m'a fait promettre que si je puis tenir mes enfants, j'aie à les lui mener, et que de moi ils n'auront aucun secours ; ce que je suis bien fâché d'avoir promis.

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