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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre XXII

COMMENT MAUGIS ETANT CONDAMNE A MORT, SE SAUVA AVEC LA COURONNE, L'EPEE ET LE TRESOR DU ROI, PRIT AUSSI LES EPEES DES DOUZE PAIRS DE FRANCE ET EMPORTA TOUT CE BUTIN AU CHATEAU DE MONTAUBAN.

Charlemagne, se voyant maître de Maugis, appela tous ses barons et leur dit :
— Seigneurs, je vous prie instamment de faire élever une potence, car je suis décidé à faire pendre Maugis avant de souper, ne voulant pas le garder jusqu'au jour.
— Sire, dit le duc Naimes, puisque vous voulez qu'il meure, si vous voulez me croire, vous ferez autrement.
— Comment, dit le roi ?
— Sire, je vous conseille de ne pas le faire pendre de nuit car nous en aurions des reproches. Regnaut et ses frères diraient que par appréhension vous n'avez osé le faire de jour. Ainsi, attendez qu'il soit jour pour le faire pendre ; et quand on le conduira, envoyez-y vos gens afin que si Regnaut et ses frères viennent pour le secourir, on puisse tous les pendre ensemble.
— Naimes, dit le roi, vous vous moquez de moi. Si ce larron s'échappe, je suis diffamé.
— Si vous avez peur que je m'en aille, dit Maugis, je vous donnerai des otages par preuve que je ne m'en irai pas sans vous dire adieu.
— Qui voudra en répondre ?
— J'en trouverai, répondit Maugis. Alors il regarda autour de lui et vit les douze Pairs de France. Il appela Olivier et lui dit :
— Vous m'avez promis de me rendre service auprès du roi quand je me suis rendu à vous ; je vous demande pour otage.
— Volontiers, dit Olivier, je le ferai sur ma vie.

Il pria ensuite Richard, le duc Naimes, Oger, l'archevê­que Turpin et Eston d'être ses otages pour la nuit.
— Maugis, dit le duc Naimes, nous promettez-vous de ne point vous en aller d'ici sans notre permission ?
— Oui, dit Maugis, je vous le jure.

Alors les douze Pairs allèrent vers le roi et lui dirent :
— Sire, nous répondons de Maugis sur notre vie et sur ce que nous tenons de vous ; ainsi il ne s'en ira pas sans notre permission, ni sans dire adieu à la compagnie.

Charlemagne leur dit :
— Prenez garde que ce traître ne vous enchante, et je vous prie de ne pas vous y fier car c'est le plus grand fourbe qu'il soit au monde. Seigneurs, dit le roi, puisque vous en répondez, je vous le remets en garde, aux conditions que si je ne l'ai pas demain matin, vous perdrez tous vos fiefs et ne pourrez jamais rentrer en France.
— Sire, dit Olivier, nous le voulons bien ainsi que vous l'avez dit.

Ensuite ils vinrent vers Maugis qui leur dit : — Seigneurs, puisque vous m'avez fait un plaisir, faites-m'en deux. Je vous supplie de me faire donner à manger, car je meurs de faim.

Quand le roi entendit Maugis parler ainsi, il le regarda et dit en riant :
— Mangeras-tu bien, dis, méchant larron ?
— Oui, répondit-il, quand j'aurai de quoi.
— Qu'on lui donne donc à manger, Sire, dit Roland ; il sera bien auprès de vous.
— Vous avez raison, mon neveu, ainsi l'avais-je pensé ; car je ne m'en rapporterais à personne qu'à moi.

Alors il se mit à table, fit asseoir Maugis auprès de lui et le servit lui-même. Pendant le souper, le roi n'osait ni boire ni manger tant il craignait les enchantements de Mau­gis. Celui-ci mangea bien car il en avait besoin. Quand Olivier vit cela, il commença à rire et poussa Roland en lui disant :
— Avez-vous vu comme le roi n'osait manger, par crainte que Maugis ne l'enchantât ?
— Sûrement, dit Roland, il est bien vrai.

Après le souper, Charlemagne appela son sénéchal et lui dit :
— Je vous prie de me faire apporter cent torches et qu'elles soient ardentes toute la nuit.
— Vous serez obéi.

Quand le roi eut donné tous ses ordres, il s'en retourna auprès de Roland et lui dit :
— Neveu, je vous prie que vous, Olivier et les douze Pairs de France, de veiller avec moi ce larron de Maugis ; vous ferez armer cent bons chevaliers qui veilleront avec nous, et faites jouer aux tables, aux échecs, et à d'autres jeux, afin que l'on ne s'endorme point ; vous ferez monter la garde à mille chevaliers, afin que s'il nous échappait, ils le retiennent.

Puis Charlemagne fit mettre de gros fers aux pieds et une chaîne aux reins de Maugis, la chaîne fut attachée à un pilier et au cou, il plaça un collier de fer dont il garda la clef. Maugis annonça que cela ne l'empêcherait pas de rentrer à Montauban. Charlemagne, furieux, voulut lui trancher la tête, mais on l'en empêcha, lui faisant remarquer que la bonne justice réclamait qu'il soit pendu. Maugis, ayant peur de s'endormir, car il était fatigué, commença son charme et il les endormit tous profondément. Il fit alors un autre charme et ses fers tombèrent par terre. Il alla placer un oreiller sous la tête du roi, lui prit Joyeuse, sa bonne épée et la mit à sa ceinture ; il enleva aussi Durandal, l'épée de Roland, puis celles d'Olivier et d'Oger ; il alla aux coffres, prit la couronne et le trésor ; ensuite, il prit une herbe et frotta le nez et la barbe du roi et le décharma, puis lui dit :
— Sire, je vous ai dit hier que je ne m'en irais pas sans vous parler.

Il sortit de la tente et partit vers Montauban. Charlemagne furieux ne parvenait pas à éveiller ses pairs endormis ; alors, il alla chercher une herbe qu'il avait apportée d'outre- mer, en prit et leur frotta le nez, la bouche et les yeux. Les pairs s'éveillèrent tout étonnés, Charlemagne leur reprocha de ne pas lui avoir laissé pendre Maugis dès sa capture. Les pairs, consternés, s'aperçurent de la disparition de leurs épées, et Charlemagne vit que ses coffres étaient vides.

S'en allant vers Montauban, Maugis passa le gué où était Regnaut ; il lui annonça le butin qu'il rapportait, puis, tous deux allèrent vers Allard, Guichard et Richard dont la tristesse se dissipa à la vue de leur cousin. Maugis raconta comment il avait été pris et comment il s'était échappé. A Montauban, on leur fit grande fête.

Regnaut plaça l'aigle d'or de Charlemagne sur la plus haute tour du château ; elle jetait une clarté éblouissante que l'on pouvait voir de cinq lieues. Alors Charlemagne chargea ceux de ses pairs qui étaient de la famille de Regnaut d'aller à Montauban demander qu'on lui rende sa couronne et son aigle d'or.
— Si les frères Aymon acceptent, dit-il, je leur donnerai trêve de deux ans et ferai retourner mon armée en France.

Les pairs désignés portèrent le message à Montauban où ils furent bien reçus. Richard voulait garder l'aigle (1), mais finalement on rendit tout, y compris les épées. Oger proposa à Regnaut d'aller avec eux jusqu'auprès de Charlemagne. Regnaut hésita, puis, faisant foi aux promesses de sûreté qui lui furent faites, il accepta et partit. Après avoir passé la rivière à Balençon, Oger proposa de laisser là Regnaut et d'aller se rendre compte de ce que serait l'attitude de Charlemagne.

Pinabelle, neveu de Charlemagne, était au gué de Balençon. Il entendit ce qui se préparait et alla vite prévenir le roi avant l'arrivée d'Oger et du duc Naimes. Charlemagne envoya aussitôt deux cents chevaliers sous la conduite d'Olivier et quand Oger et le duc Naimes arrivèrent, il ne leur répondit d'abord rien, puis, furieux, il leur déclara qu'il n'accorderait pas trêve. Oger et le duc Naimes dirent au roi qu'il allait se déshonorer en ne respectant pas sa parole et ils menacèrent de lui retirer leur foi et de le combattre.

Pendant ce temps, Olivier, arrivé à Balençon, s'avança vers Regnaut. Voyant cette trahison, Regnaut fit des reproches à l'archevêque Turpin et Eston, restés avec lui, mais ceux-ci jurèrent de leur ignorance et promirent de tenir parole en défendant Regnaut. Puis ce dernier rappela à Olivier la courtoisie qu'il lui avait faite lorsque Maugis l'abattit aux plaines de Vaucouleurs et lui demanda la même courtoisie en retour. Olivier promit.

Cependant Roland arriva et cria :
Regnaut, vous êtes pris.

Oger rappela à Roland qu'il était là sur foi de sa parole et sur celle de la trêve promise par le roi.
— Si vous faites outrage à Regnaut, vous nous le ferez, ajouta-t-il. Roland, par ma foi, si vous l'attaquez, nous l'aiderons.

Alors Olivier dit à Roland :
— Je vous prie que vous laissiez Regnaut, car il m'a fait une courtoisie, et maintenant, je veux la lui rendre ; si vous voulez me croire, nous le mènerons vers le roi, nous le forcerons tous de faire son appointement.
— Seigneurs, dit le duc Naimes, Olivier parle honnêtement. Si le roi nous faisait passer pour traîtres, ce serait grande honte à lui et à nous. S'il fait un outrage à Regnaut, nous ne le souffrirons pas.

Alors Roland et Olivier menèrent Regnaut au pavillon de Charlemagne, mais le duc Naimes, l'archevêque Turpin et Eston ne l'abandonnèrent point. Quand Olivier voulut le présenter à Charlemagne, Oger s'avança et dit :
— Sire, vous savez que vous nous mandâtes quatre qui sommes ici devant vous, d'aller à Montauban et dire à Regnaut ce dont vous nous avez chargé. Il a fait tout ce que nous lui avons dit de votre part. Nous lui avons promis qu'il n'aurait nul mal, et vous l'avez fait prendre. Nous n'aurions jamais pensé à cela, vu que votre couronne, nos épées et votre aigle d'or, vous l'aurez quand il vous plaira. Vous lui avez promis que vous ne lui feriez point de mal. Si vous ne tenez pas votre promesse, vous serez blâmé ; mais si vous voulez travailler honnêtement, envoyez Regnaut à Montauban avec ce qu'il nous a donné et faites-lui ce que vous pourrez.
— Oger, dit Charlemagne, vous parlez en vain et vos associés aussi ; car je n'en ferai rien qu'à ma volonté, et l'eussiez-vous juré, je n'en ferai pas de Regnaut comme de Maugis.

Quand le roi eut dit cela, il se tourna vers Regnaut et lui dit:
— Je vous tiens ; vous ne m'enchanterez pas comme a fait Maugis, car je vous ferai brûler.
— Sire, dit Oger, ne le faites pas.
— Oger, dit le roi, voulez-vous défendre mon ennemi contre moi ?
— Sire, que voulez-vous que je fasse ? Vous m'avez appelé traître. Sachez que je ne le suis pas ni personne de ma famille, et je ne connais personne au monde que s'il disait que je suis un traître, je combattrais contre lui.
— Par ma foi, dit Charlemagne, je vais vous le prouver par les armes.
— Sire, dit Regnaut, vous parlez maintenant comme roi ; je vous donne mon gage et vous trouverai un otage.

Alors il dit à Oger, au duc Naimes, à l'archevêque Turpin et Eston, de bien vouloir le cautionner.
— Regnaut, dit le duc Naimes, nous vous cautionnerons bien volontiers.

Regnaut dit alors :
— Sire, voici cautions ; les acceptez-vous ?
— Oui, dit le roi, je n'en demande plus. Regnaut dit ensuite :
— Qui voudra combattre contre moi ?
— Ce sera moi, lui répondit le roi.
— Mon oncle, dit Roland, non pas, s'il vous plaît, je le ferai.
— Sire, dit Regnaut, mettez qui vous voudrez.

Bayard fut rendu à Regnaut qui s'en alla à Montauban, ainsi qu'Oger, le duc Naimes, Eston et Allard. Toute la nuit, Regnaut et sa compagnie firent bonne chère à Montauban et furent honorablement reçus par la dame Claire, épouse de Regnaut. Le lendemain, ils entendirent la messe, et Regnaut se fit armer, dit adieu à dame Claire et dit à ses frères :
— Je vous laisse le château en garde et vous recommande ma femme et mes enfants, car je m'en vais combattre le meilleur chevalier du monde et je ne sais ce qu'il en arrivera. Vous aurez besoin de ce château. Voici mes cautions qui viendront avec moi.
— Par ma foi, dit Allard, nous irons avec vous et nous verrons le combat et comment votre bon droit sera gardé car si vous avez besoin de secours, nous vous en donnerons.

Regnaut dit à Maugis de rester au château et qu'il ait soin de toutes choses. Ils se mirent ensuite en chemin et arrivèrent au pied de Montfaucon, lieu destiné pour le combat.

  1. Aigle = emblème.



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