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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre XXVI

COMMENT REGNAUT ET SES GENS, ALARMES PAR LE SIEGE, SORTIRENT DE MONTAUBAN ET S'EN ALLERENT AU CHATEAU DE DORDONNE, OU CHARLEMAGNE ALLA DE NOUVEAU LES ASSIEGER.

Un homme fort ancien dit à Regnaut :
— Sire, je vois que nous mourrons de faim si Dieu n'a pitié de nous. Je vous montrerai un chemin par où vous pourrez sortir d'ici en toute sûreté, à l'insu de Charlemagne. Vous devez savoir que cette place a été autrefois bien fermée : le seigneur fit faire un chemin qui conduit au bois de la Serpente. Il faut faire ouvrir à l'endroit où je vous, montrerai et vous y trouverez le chemin.

Regnaut fut content et dit :
— J'ai trouvé ce que je désire, car je m'en irai à Dordonne où je serai en sûreté.

II fit seller Bayard et prit le chemin de la caverne, sa femme, ses enfants et ses gens. Regnaut.fit allumer un grand nombre de torches pour y voir plus clair. Il ordonna .son avant-garde du peu de gens qu'il y-avait. Il fit faire l’arrière-garde à ses gens. Quand Regnaut eut bien arrangé son affaire, il se mit en chemin vers la caverne qui était grande et planteuse (1). Quand ils eurent marché un long espace dé temps, Regnaut s'arrêta et dit à-ses frères.
— Nous avons très mal fait, car nous' avons laissé le roi Yon en prison. Certes, j'aimerais mieux mourir, que de le laisser périr ainsi, car il mourrait de faim comme un loup enragé, et ce serait un grand péché à nous.
— Parbleu, dit Richard, vous le protégez, et vous ne devriez pas avoir pitié d'up homme aussi traître que lui.

Regnaut s'en retourna pour le retirer de prison et l’emmena avec lui. Etant à la fin de la caverne, ils se trouvèrent au bois de la Serpente au point du jour. Ils étaient bien contents de ce qu'ils avaient échappé à Charlemagne. Regnaut regarda ensuite autour de lui et vit bien où il était. Alors il appela ses frères et leur dit :
— Il me semble que nous sommes ici près de l'ermitage du bon ami Bernard,
— Frère, dit Allard, vous dites vrai ; mais que ferons-nous ?

Regnaut dit :
— Je pense que le mieux serait que nous y allions et il faudrait y rester jusqu'à ce que la nuit soit venue, et puis après nous irons à Dordonne, car je ne me soucie.pas d'y aller de jour. Et d'ailleurs, il peut se faire que l'ermite aurait quelque chose à manger, et pour lors nous le donnerons à manger à ma femme et mes enfants.

Ils trouvèrent l'ermitage, mais en allant dans le bois ils s'écartèrent, et comme des bêtes sauvages, mangèrent de l'herbe tant ils avaient faim. Regnaut dit :
— Seigneurs, vous pourriez nous causer du dommage en vous séparant ainsi. Je vous prie que chacun se rallie et allons-nous-en à l'ermitage où nous trouverons Bernard l'ermite, qui nous fera bonne chère.

Regnaut frappa à la porte, et Bernard vint lui ouvrir et l'embrassa, en lui disant :
— Seigneur, vous êtes le bienvenu ; d'où venez-vous et comment vous va-t-il ?

Regnaut lui dit :
— J'ai laissé Montauban par force de famine et je m'en vais à Dordonne. Je ne puis faire autrement pour le présent. Je vous prie, si vous avez à manger, de m'en donner pour l'amour de Dieu, pour ma femme et mes enfants, car ils sont affamés.

Bernard eut pitié de l'état où il les voyait ainsi que ses gens. D'autre part, il fut content de les voir hors du danger de tomber entre les mains de Charlemagne. Alors il s'en vint vers la duchesse et lui dit :
— Dame, soyez la bienvenue, ne craignez rien, car vous êtes dans un lieu où vous aurez du repos.

Il alla dans sa chambre et apporta du pain et du vin, puis il s'assit près de Regnaut et lui dit :
— Seigneur, agréez, s'il vous plaît, le bien que Dieu m'a donné.
— Grand merci, dit Regnaut, voici de bonnes nouvelles pour nous.

Ils demeurèrent tout le jour avec l'ermite. Quand la nuit fut venue, Regnaut dit à l'ermite qu'il voulait s'en aller, qu'il lui donnât trois chevaux dont il en donna un à la duchesse et les deux autres à ses enfants. Alors ils se mirent en chemin vers Dordonne. Quand ceux de la ville surent que leur seigneur était venu, ils le reçurent honorablement et le conduisirent jusqu'à la forteresse. Les bourgeois firent ensuite de grandes réjouissances par toute la ville. Alors les barons du pays vinrent lui rendre hommage comme étant leur prince et seigneur.

Charlemagne, marchant autour de Montauban, n'aperçut personne sur les murs. Il envoya chercher tous ses barons et leur dit :
— Seigneurs, il y a bien huit jours que je n'ai vu personne sur les murs de Montauban ; c'est pourquoi je crois que Regnaut et ses gens sont morts.
— Sire, dit le duc Naimes, il serait bon qu'on sût la vérité.

Charlemagne et ses barons montèrent à cheval, et ils s'en allèrent devant Montauban. Etant arrivés à la porte, ils firent semblant d'attaquer le château mais personne ne paraissant sur les murs du château, ils pensèrent que Regnaut était mort de faim. On fit apporter une échelle bien haute et on la fit poser contre les murailles. Roland monta le premier, Oger, Olivier et le duc Naimes après. Quand ils furent sur les murs, ils regardèrent dedans et ne virent personne. Ils descendirent dedans, ouvrirent les portes et firent entrer le roi et ses gens. Alors Charlemagne dit que tout cela avait été fait par l'art de Maugis, et qu'il les avait tous sauvés. Il se promena par tout le château de Montauban pour trouver Regnaut ou quelqu'un de ses frères et ne vit personne. A la fin il trouva le chemin par où Regnaut et ses gens étaient sortis. Quand il vit la caverne, il fut bien surpris. Il appela Oger, et lui montrant le chemin par où ils étaient sortis, il dit :
— Maugis a fait cela.
— Sire, dit le duc Naimes, vous blâmez Maugis, mais sachez qu'il y a cent ans qu'elle est faite :

Charlemagne dit :
— Cherchez en cette caverne pour savoir par où elle conduit, car je ne serai pas content que je ne le sache.

Roland fit allumer beaucoup de flambeaux pour y descendre ; il entra avec grand nombre de Français et ils marchèrent tant qu'ils se trouvèrent au bois de la Serpente. Alors Roland dit à ses gens :
— Seigneurs, il me semble que ce serait une grande folie d'aller plus avant.
— Messire, dirent-ils, retournons auprès de votre oncle pour lui dire ce que nous avons trouvé à la caverne.

Charlemagne demanda à son neveu s'il n'avait pas trouvé l'issue de la caverne.
— Sire, dit Roland, Regnaut et ses frères sont partis et ont emmené Bayard, car voici les pas tout formés.

Charlemagne, irrité par la fuite des fils Aymon, les fit chercher dans tout le pays, mais vainement. Un jour, on lui apprit qu'ils étaient à Dordonne où Regnaut avait rassemblé des gens de guerre au cas où Charlemagne l'attaquerait. Le roi rassembla alors ses troupes et se rendit à Montorgueil, puis il marcha vers Dordonne situé tout près de là. Quand Regnaut vit qu'on allait l'assiéger, il décida de ne plus attendre comme à Montauban et il rassembla ses troupes pour l'attaque. Il se rendit alors jusqu'à Charlemagne pour lui demander encore une fois de faire la paix et lui promettre de le servir. Charlemagne ayant refusé, Regnaut revint vers ses troupes et les deux armées s'affrontèrent dans un combat sanglant.

Les troupes de Charlemagne ne pouvaient résister aux assauts impétueux des fils Aymon et de leurs gens, mais Charlemagne se lança lui-même dans la lutte et ce furent les chevaliers des fils Aymon qui reculèrent. Regnaut et ses frères, en arrière-garde, protégèrent la retraite jusqu'à Dordonne où ils se retirèrent après avoir fait prisonnier Richard de Normandie. Charlemagne assiégea la ville. Son neveu essaya de le raisonner, lui faisant remarquer que la guerre avec Regnaut durait depuis quinze ans, que les vaillants fils Aymon avaient fait beaucoup de mal à ses troupes, qu'il aurait mieux valu faire la paix et s'attaquer aux Sarrasins ce qui aurait beaucoup étendu son territoire. Mais Charlemagne ne voulut rien entendre. Regnaut, armé à Dordonne, posa le guet sur le mur de la ville ; puis fit venir le duc Richard de Normandie, et lui dit :
— Richard, vous savez le tort que m'a fait Charlemagne, ainsi je vous dis que si vous ne faites pas la paix, je vous ferai trancher tous les membres.
— Messire, répondit le duc Richard, vous le pouvez ; agissez à votre volonté ; et si vous me faites le moindre mal, vous serez déshonoré toute votre vie. Sachez que tant que je vivrai, je ne ferai point parjurer Charlemagne.

Regnaut ordonna de le reconduire dans sa chambre où il fut gardé, et de lui donner tout ce qu'il demanderait. Pendant que Charlemagne était devant Dordonne, le roi Yon de Gascogne fut attaqué d'une grande maladie ; il se confessa de tous ses péchés, pria Notre Seigneur dévotement qu'il lui plût d'avoir pitié de lui et de lui accorder le pardon de toutes ses fautes.

  1. Dans les anciennes langues romanes, « plante » a pris le sens du latin «herba» (herbe). Il doit donc s'agir d'une grotte dont le sol était recouvert d'herbe.



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