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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre XXVIII

COMMENT LES DOUZE PAIRS DE FRANCE PRIERENT CHARLEMAGNE DE FAIRE LA PAIX AVEC REGNAUT POUR AVOIR RICHARD DE NORMANDIE, CRAIGNANT QU'IL NE FUT PENDU.

Charlemagne étant au siège de Dordonne, fut bientôt fâché en voyant qu'il ne pouvait avoir Richard de Normandie. Alors il fit venir ses barons et leur dit :
— Seigneurs, je vois que Regnaut se moque de moi, car il n'a point renvoyé Richard de Normandie.
— Oncle, dit Roland, je suis fort surpris de ce que vous dites. Vous nous avez demandé conseil, vous l'avez reçu et vous ne l'avez pas écouté. Cependant, pensez à la considération qu'il a eu pour vous quand il vous tenait dans Montauban : il vous a délivré et vous ne lui en savez point gré. Mais puisque vous ne voulez faire aucun accord avec lui, il vous fera le plus de mal qu'il pourra et à nous aussi. Vous en avez tous les jours l'expérience par le dommage qu'il nous cause. Il retient le meilleur chevalier que vous ayez. Je vous dis que si Regnaut ne l'a fait mourir, il fait voir la plus grande clémence que jamais homme ne fit, et je crois qu'il est mort plutôt que vivant, car nul ne sait s'il est mort ou s'il est en vie.

Charlemagne vit bien que Roland disait vrai ; alors il se mit à soupirer. Après ces paroles, l'archevêque Turpin, le duc Naimes et Oger s'appuyèrent et dirent :
— Sire, Roland a raison d'être contre vous.

Quand Charlemagne entendit ainsi parler ses barons, il en fut étonné. Alors il appela le duc Naimes, l'archevêque Turpin, Oger et Eston, et leur dit :
— Seigneurs, je vous prie d'aller à Dordonne trouver Regnaut et lui dire qu'il me renvoie Richard de Normandie et Maugis et qu'alors il aura la paix avec moi. Je lui rendrai sa terre et tiendrai ses enfants avec moi tout le temps de ma vie.
— Sire, dit le duc Naimes, vous nous envoyez en vain, car je sais bien que Maugis est parti depuis plus de trois ans. Et quand bien même Regnaut voudrait le livrer, il ne le pourrait, car il ne sait où il est allé.
— Naimes, dit Charlemagne, vous verrez ce que dira Regnaut, et saurez ce qu'il fera de Richard de Normandie.

Le duc Naimes dit :
— Puisqu'il vous plaît que j'y aille, j'irai ; mais j'ai grand peur que nous soyons tous déshonorés.

Quand les barons virent que Charlemagne voulait qu'ils allassent à Dordonne faire leur message, ils n'osèrent le contredire et se mirent aussitôt en chemin et vinrent à Dordonne, portant chacun un rameau d'olivier en signe de paix. Quand ils furent arrivés, on leur ouvrit la porte de Dordonne et ils allèrent au palais. Le duc Naimes salua le premier Regnaut et lui dit :
— Charlemagne vous mande que vous lui rendiez Richard de Normandie et Maugis. Vous aurez la paix et il vous rendra vos terres. Il tiendra vos deux enfants à sa cour et les fera chevaliers.
— Seigneurs, dit Regnaut, soyez les bienvenus, car je dois bien vous aimer. Je suis surpris que Charlemagne me mande cette chose. Chacun sait que je n'ai point Maugis, puisque je l'ai perdu par lui. Mais si je tenais Charlemagne entre mes mains comme je tiens Richard de Normandie, et qu'il ne voulût pas m'accorder la paix, je jure qu'il me laisserait sa tête pour gage et je serais vengé de tous les maux qu'il m'a faits. Je pensais qu'il serait plus humain qu'il n'est, car si j'eusse su qu'il fut si irrité contre moi, je me serais vengé de lui. Mais il est trop tard de m'en repentir. Je vous prie de vous en retourner et de dire à votre roi que je n'ai point Maugis, et que c'est par lui que je l'ai perdu ; d'autre part, si je l'avais, je ne le voudrais pas rendre ; et enfin, puisque par lui j'ai perdu Maugis, je ferai pendre Richard sur cette porte-là en dépit de lui et je défends à tous ceux qui sont ceux de Charlemagne de venir ici, car je leur promets que je ferai trancher la tête.

Les barons le voyant si courroucé, n'osèrent plus rester. Ils prirent congé de lui et retournèrent à l'armée du roi qui les attendait. Alors il leur dit :
— Seigneurs, quelles nouvelles m'apporte/-vous ? Avez-vous Richard de Normandie ?
— Sire, dit le duc Naimes, Regnaut mande que vous n'aurez pas Maugis car il l'a perdu par vous, et pour vengeance de cela, il a dit que demain il fera pendre Richard sur la grande porte ; il en fera pareillement de tous ceux de vos gens qu'il pourra tenir ; et que même s'il vous tenait, et que vous ne fissiez pas la paix avec lui, il vous couperait la tête.

Roland lui dit :
— Sire, ne vous en déplaise de ce que je vous dirai. Nous trouvons en la sainte écriture que maudit soit le fruit qui n'est jamais mûr ; ainsi il arrivera si vous ne voulez mûrir ni consentir à la paix avec les quatre fils Aymon, qui vous ont prié si humblement. Et je vous jure que si Richard est pendu, vous en serez déshonoré pour le reste de votre vie.

Charlemagne lui dit :
— Vous pensez m'épouvanter par vos paroles, mais je ne suis pas un de ces enfants que l'on amuse ainsi ; et si Regnaut est assez hardi pour faire le moindre mal à Richard, je le pendrai demain avec toute sa famille.

Naimes voyant le roi courroucé, lui dit :
Sire, nous sommes surpris de ce que vous nous menacez tant de part et d'autre, et je ne le suis si Regnaut est irrité, c'est parce que vous êtes cause qu'il a perdu Maugis, et par dépit il fera pendre le duc Richard et vous fera trancher la tête, et nous n'en sommes pas cause. Mais parce que vous nous menacez, je conseille à tous mes parents de partir et de vous laisser faire la guerre contre les quatre fils Aymon.

Tous les autres pairs dirent que Naimes avait raison.

Charlemagne, fâché d'entendre ces paroles, ne répondit rien. Il se sentit ému car il avait peur que Regnaut ne fît pendre Richard de Normandie. En ce même jour, Regnaut appela ses frères et leur dit :
— Je suis fâché que nous ne pouvions avoir la paix avec Charlemagne, car il est irrité contre nous. Je pense que s'il nous tenait, il n'aurait aucune pitié de nous ; aussi je suis d'avis de pendre le duc Richard.
— Frère, dit Allard, je vous prie de faire ce que vous dites. Ce sera moi qui le pendrai.
— Frère, dit Regnaut, je le veux bien ; il faut élever la potence sur la grande tour de la porte afin que Charlemagne puisse la voir.

Roland la vit le premier et se mit à crier tant qu'il put :
— Sire, regardez comme on pend Richard ! C'est la récompense des services qu'il vous a rendus, car vous lui rendez un grand service ; cela n'engage point du tout à vous servir.
— Hélas ! dit Olivier, le duc Richard sera bientôt pendu à notre grand déshonneur.
— Paix, dit le roi, ils le font pour m'éprouver, afin d'avoir la paix avec moi ; mais ils ne l'auront pas, et je vous promets qu'ils ne lui feront pas de mal.

Olivier voyant qu'on dressait l'échelle, dit à Roland :
— Mon ami, l'échelle est dressée. Regnaut appela dix de ses gens et leur dit :
— Allez chercher le duc Richard, car je veux le pendre.

Ils y allèrent et le trouvèrent jouant avec Yonnet, mais Richard ne se laissa pas faire et en renversa trois par terre.

Richard se remit au jeu après avoir dit à son domestique de ramasser les trois morts et de les jeter par la fenêtre. Allard vit cela et alla prévenir Regnaut qui vint lui-même demander des explications à Richard de Normandie et répétant que si, ce jour-là, il n'avait pas la paix avec Charlemagne, il le ferait mourir honteusement et il le fit lier étroitement et conduire auprès de la potence. Richard de Normandie demanda alors un messager. Regnaut lui en donna un et le duc de Normandie l'envoya supplier Charlemagne d'accorder la paix. Le messager exécuta sa mission et transmit aussi le message aux barons de Charlemagne.

Les barons intercédèrent auprès de Charlemagne, mais celui-ci, une fois de plus, jura que jamais Regnaut n'aurait la paix s'il ne lui livrait Maugis, et il chargea le messager d'aller dire à Richard de Normandie de ne rien craindre de Regnaut qui n'oserait lui faire du mal.

Voyant l'obstination de Charlemagne, Roland, Oger, Olivier et le duc Naimes décidèrent de le quitter.

L'archevêque Turpin intervint encore, mais inutilement auprès du roi. Alors tous les autres pairs suivirent ceux qui s'en allaient et firent aussitôt abattre leurs tentes. Et beaucoup de chevaliers suivirent les pairs ce qui diminua l'armée de plus de quatre mille hommes. Le messager raconta ce qu'il avait vu à Regnaut et au duc Richard de Normandie.




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