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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre XXXIII

COMMENT LES DEUX ENFANTS DE REGNAUT DE MONTAUBAN COMBATTIRENT CONTRE LES FILS DE FOULQUES DE MORILLON, ET LES VAINQUIRENT.

Aymonnet et Yonnet arrivèrent à Paris où ils s'habillèrent honorablement. Ils montèrent ensuite au palais en se tenant par la main. Lorsque les barons les virent venir si richement habillés, et avec eux une si bonne compagnie, ils se demandèrent qui ils pouvaient être, et les suivirent quand ils montèrent au palais, afin de savoir qui ils étaient. Ils entrèrent dans une grande salle où ils trouvèrent Charlemagne. Quand ils le virent, ils s'agenouillèrent devant lui et lui baisèrent les pieds. Aymonnet parla le premier en ces termes :
— Sire, Dieu vous préserve de malheurs, ainsi que toute la compagnie. Nous sommes venus vers vous pour être reçus chevaliers. Si c'est votre bon plaisir, nous serons à votre service jusqu'à ce que vous nous donniez l'ordre de chevalerie.
— Qui êtes-vous, dit Charlemagne, pour parler ainsi ?
— Sire, répondit Aymonnet, nous sommes fils de Regnaut de Montauban.

Quand Charlemagne entendit qu'ils étaient fils de Regnaut, il se leva et les reçut honorablement, en leur disant :
— Mes enfants, soyez les bienvenus. Comment se porte votre père ?
— Sire, répondirent-ils, il se porte bien, Dieu merci ; il se recommande bien à vous et qu'il vous plaise de lui faire savoir de vos nouvelles. Nous l'avons laissé à Montauban, mais il vieillit beaucoup.
— Ainsi va le monde, mes enfants, répondit le roi, chacun doit passer.

Charlemagne voyant donc devant lui les enfants de Regnaut fut joyeux et dit à ses barons :
— Seigneurs, si ces enfants voulaient renier leur père, ils auraient grand tort, car il est impossible de se mieux ressembler. Je pense qu'ils seront un jour de vaillants chevaliers.

Il se tourna ensuite vers eux et leur dit :
— Beaux enfants, vous serez chevaliers quand vous voudrez, par attachement pour votre père. Mes amis, je vous donnerai même plus de pays que n'en a votre père. Je recevrai aussi avec vous cent autres chevaliers, car vous êtes nés d'une famille qu'on doit honorer et chérir.

Lorsque le duc Naimes, Roland, Olivier et les autres pairs de France les virent, ils furent contents ; chacun d'eux les embrassa ; puis ils s'informèrent comment se portaient Regnaut et ses frères.

— Seigneurs, dirent les enfants de Regnaut, qui êtes-vous qui montrez si grande joie à notre arrivée ?
— Enfants, dit le duc Naimes, nous sommes vos parents de bien près.

Alors il leur dit le nom de tous. Quand les enfants surent qui ils étaient, ils s'inclinèrent devant eux et leur dirent :
— Seigneurs, notre père vous salue et vous prie que vous nous recommandiez comme vos parents.

Les barons entendant ces enfants parler ainsi furent contents de les voir ; mais les fils de Foulques devinrent extrêmement jaloux de voir combien le roi estima les enfants de Regnaut en leur faisant servir un fastueux repas et ils jurèrent de les faire mourir.

Le roi voulait tenir une cour plénière à Paris. Aymonnet et Yonnet y étaient avec tous les barons. Charlemagne fit présent à Aymonnet et Yonnet d'un couteau qu'il venait de recevoir comme cadeau d'un chevalier d'Allemagne. Yonnet, retournant à sa place, heurta, sans le vouloir, Constant, un des fils de Foulques. Constant injuria Yonnet. Yonnet répliqua en rappelant comment son père avait tué le père de Constant. Yonnet et Constant s'accusèrent mutuellement de traîtrise. Charlemagne intervint pour dire à Constant que son père avait été tué loyalement, et non traîtreusement, par Regnaut et il l'invita à retirer ses injures. Rohars, frère de Constant, répliqua au roi, accusant Regnaut de trahison et il présenta son gage (gant jeté en signe de défi et d'engagement à combattre). Le duel entre les deux fils de Regnaut et ceux de Foulques fut fixé au lendemain. Avant le duel, Charlemagne sacra chevaliers Aymonnet et Yonnet. Regnaut, ayant appris la chose, fut fier de ses fils ; il avertit ses frères et les pria de s'armer et de venir avec lui à la cour du roi. Les quatre frères Aymon furent heureux d'apprendre que Charlemagne avait soutenu les fils de Regnaut.

Charlemagne décida que le combat aurait lieu deux à deux, à l'île Notre-Dame-sur-Seine, c'est-à-dire Constant contre Aymonnet et Rohars contre Yonnet. Les combattants, dès le matin, entendirent une messe chacun de leur côté. Quand tout le monde fut sur le lieu du combat, Charlemagne appela Roland et Olivier, le duc Naimes et Richard de Normandie et leur demanda de garder le champ de bataille pour que tout se déroule loyalement, car il craignait le fourbe Ganelon et voulait éviter que cela ne dégénère en un combat général dans lequel Regnaut et ses frères feraient encore grand carnage.

Arrivés à l'île, Béranger, Hardes et Griffon de Haute-Feuille, qui cautionnaient les fils de Foulques, se mirent en embuscade avec l'intention de faire périr Aymonnet et Yonnet s'ils sortaient vainqueurs du combat. Regnaut donna son épée Flamberge à Aymonnet, qui méritait cet honneur parce qu'il était l'aîné. Puis Regnaut ayant été mis au courant de l'embuscade contre ses fils, se lamenta qu'il y eût toujours des traîtres ; il avertit ses frères et ils se tinrent prêts à intervenir s'il le fallait.

Quand le signal du combat fut donné, Constant et Aymonnet coururent l'un contre l'autre si rudement qu'Aymonnet tomba de cheval, mais il se releva promptement et frappa si fort qu'il enleva le menton de son rival et coupa son cheval en deux. Constant se lança alors dans un corps à corps et appela Rohars à son secours, mais celui-ci ne le pouvait car, dans son combat avec Yonnet, il avait perdu beaucoup de sang. Cependant il se força tant qu'il vint auprès de son frère, mais Aymonnet le frappa si rudement qu'il le fit tomber par terre. Aymonnet courut ensuite sur Constant à qui il coupa le visage. Ganelon devint noir de rage quand il vit que les fils de Regnaut étaient les plus forts ; il appela alors Béranger et Henri de Lyon, et leur dit :
— Seigneurs, nous sommes déshonorés car les enfants de Foulques sont vaincus. Je les secourrais volontiers, mais je crains trop le roi.
— Sire, dit Hardes, j'en suis bien fâché, nous ne pouvons faire autre chose que de montrer que nous n'en sommes point irrités. Souffrons-le jusqu'à ce que vienne le moment de nous venger sur les ennemis de nos parents et amis.

Aymonnet, voyant qu'il avait frappé Constant mortellement, en fut bien satisfait. Yonnet dit alors à son frère :
— Frère, vous avez mal fait d'avoir tué un aussi grand traître ; je l'aurais volontiers tué moi-même ; mais puisqu'il en est ainsi, allez donc l'achever, et j'irai tuer Rohars.

Aymonnet lui dit :
— Vous parlez bien, c'est ainsi qu'on doit les traiter.

Quand les deux frères se furent accordés, chacun courut sur son ennemi. Aymonnet dit à Constant :
— Pourquoi accuser mon père de trahison ? Je vous dis que mon père est un des plus courageux du monde, et qu'il a tué votre père à son corps défendant, et que votre père l'avait voulu tuer par trahison. Reconnaissez votre méchanceté ou autrement vous êtes mort.
— Aymonnet, dit Constant, pour Dieu je me rends à vous.

Aymonnet prit son épée et le mena devant le roi, auquel il dit :
— Sire, tenez ce traître, je vous le rends pour en faire ce que vous voudrez.

Le roi lui dit :
— Ami, vous avez assez fait, et je ne vous demande rien de plus. Lorsque nous aurons l'autre, je les ferai pendre tous les deux.

Aymonnet tenant son épée à la main, retourna auprès de son frère pour l'aider et dit à Rohars :
— Traître, vous allez périr.

Alors il courut contre lui pour le frapper, mais Yonnet, apercevant cela, lui dit :
— Frère, ne le tuez pas ; je veux conquérir le mien comme vous le vôtre.
— Frère, dit Aymonnet, vous avez tort ; je veux vous aider car le mien a été pardonné.

Yonnet lui dit :
— Frère, si vous touchez Rohars, je ne vous aimerai jamais.
— Frère, dit Aymonnet, je m'en déporterai puisque cela vous déplaît ; mais je vous promets que si je vois qu'il a pouvoir sur vous, je vous aiderai.
— Frère, répondit Yonnet, je le veux bien.

Yonnet courut alors sur Rohars, lui donna un coup sur l'épaule et lui coupa un bras qui tomba par terre.
— Traître, apprends que Regnaut de Montauban n'est point un traître mais un des meilleurs chevaliers du monde, et si tu ne l'avoues pas, tu mourras sur le champ.

Il prit Rohars par le casque et le lui arracha ; ensuite il frappa à grands coups de pommeau de son épée.

Lorsque Rohars vit qu'il était si maltraité, il s'écria :
— Dieu, ayez pitié de mon âme ; je vois que je suis vaincu.

Quand Constant entendit ainsi parler son frère, il se mit à pleurer, ne pouvant faire autre chose. Alors Yonnet voyant que Rohars ne voulait pas se dédire ni lui demander grâce, lui coupa les cuisses et les lui mit sur le corps, en lui disant :
— Traître, accusez votre méchanceté où vous êtes mort. Il ne voulut rien répondre à cela. Alors Yonnet lui coupa la tête.

Quand Aymonnet et Yonnet eurent vaincu leurs ennemis, ils se prirent par les mains et s'en retournèrent vers le roi Charlemagne, à qui Aymonnet dit :
— Sire, vous semble-t-il que nous ayons assez fait ? Nous sommes prêts à en faire encore davantage, si vous nous le commandez.
— Enfants, dit Charlemagne, vous avez assez fait. Cons­tant est blessé et Rohars est mort. Allez vous reposer, je vous promets que je ferai des traîtres ce qui sera nécessaire.

Charlemagne ordonna que Constant fut pendu avec le corps de con frère auprès de lui, car il en était bien mécontent. Quand Ganelon les vit pendre, peu s'en fallut qu'il ne perdît la tête. Alors il appela Hardes, Béranger et Malu, gens très méchants, et leur dit :
— Seigneurs, vous voyez comment Charlemagne nous a fait un grand déshonneur. Nous saurons le reconnaître, car il a fait pendre honteusement nos bons amis ; mais nous verrons encore l'heure que cette honte sera vengée.
— Il a raison, dit un de ces traîtres, car il a trahi les pairs de France et les fit mourir à Roncevaux.

Regnaut voyant ses enfants vainqueurs, en rendit grâce à Dieu, ainsi que ses frères. Ensuite il demanda à ses enfants :
— Comment vous portez-vous ?
— Très bien, répondirent-ils, Dieu merci.

Allard et Guichard bandèrent leurs plaies, et elles furent bientôt guéries. Après cela, ils allèrent au palais pour voir le roi qui leur fit grand accueil et leur fit des présents considérables tant en châteaux qu'en forteresses.

Regnaut et ses frères prirent congé du roi ; il leur accorda en leur recommandant de revenir bientôt. Ils se mirent alors en marche et arrivèrent à Montauban. Regnaut appela ses enfants et leur dit :
— Je veux dès à présent qu'Yonnet ait Dordonne pour sa part, et Aymonnet Montauban pour la sienne. Je me rappelle avoir ouï dire que Notre Seigneur maudit l'arbre qui n'est jamais mûr. Eh bien ! apprenez que Notre Seigneur Jésus-Christ est très irrité contre moi ; ainsi !e temps est venu de me corriger. Je tremble beaucoup pour ma pauvre âme, et en conséquence de cela, il faut que je fasse pénitence afin de la rendre au Dieu qui m'a fait à son image et ressemblance.




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