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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre V

COMMENT APRES QUE LE DUC AYMON EUT VAINCU SES ENFANTS, ILS SE RETIRERENT DANS LA FORET DES ARDENNES COMME DES BETES SAUVAGES, ET COMMENT ILS ALLERENT ENSUITE TROUVER LEUR MERE QUI LEUR DONNA DE L'ARGENT POUR COMBATTRE CHARLEMAGNE.

Après que Regnaut et ses frères eurent été longtemps en la forêt des Ardennes, ils commencèrent à marcher ; ils n'osaient aller dans les villes pour acheter des vivres. Ils étaient cependant bien pressés par la faim et le froid à cause des neiges. La plupart des gens mouraient. Regnaut et ses frères en échappèrent. Ils n'avaient plus que quatre chevaux, Bayard et trois autres.

Ils n'avaient ni blé, ni avoine à leur donner et ils ne vivaient que de racines, aussi les chevaux étaient-ils si maigres qu'à peine ils pouvaient aller, excepté Bayard qui se portait bien, car il vivait mieux avec des racines que les trois autres avec de l'avoine. Les quatre vaillants fils Aymon menèrent longtemps cette vie malheureuse. Leurs harnais étaient rouilles, leurs selles et leurs brides pourries ; ils étaient devenus tout noirs et velus. Regnaut avait un air si terrible qu'aucun n'osait en approcher. Quand il se vit si malheureux, il dit à ses frères :
— Je suis fort surpris que nous ne prenions aucun avis sur notre malheur. Je crois que nous avons perdu courage, sans cela nous ne serions pas si malheureux que nous sommes. Nos harnais et nos chevaux ne valent plus rien, et nous n'avons plus d'argent pour en acheter. Prenons donc conseil sur ce qu'il nous reste à faire.

Quand Allard entendit Regnaut parler ainsi, il lui dit :
— Frère, il y a longtemps que je m'en suis aperçu, mais je crains bien de le dire, à cause que je craignais que vous n'en fussiez pas content. Mais si vous le voulez, je vous donnerai un bon conseil. Nous avons souffert ici bien des peines et nous ne pouvons aller en aucun pays, car vous savez que tous les barons de France, nos père et mère, tous nos parents nous haïssent mortellement ; si vous voulez me croire, nous irons tout droit auprès de notre mère. J'espère qu'elle ne nous abandonnera pas. Nous y prendrons un peu de repos, ensuite nous irons servir un grand seigneur et nous acquerrons de la gloire.

Regnaut lui donna raison, ainsi que les deux autres frères. La nuit venue, ils se mirent en chemin et marchèrent tant qu'ils arrivèrent près de leur mère. Malgré la crainte qu'ils avaient de leur père, ils s'avancèrent, mais ils étaient si minables que personne ne les reconnut. Au palais, ils s'assirent dans la grande salle. Leur père était à la chasse. Leur mère apparut mais ne les reconnut point ; ils étaient tellement défaits qu'elle crut qu'ils souhaitaient une aumône !... Puis elle parla avec douleur de ses fils qu'elle n'avait plus vus depuis sept ans et tomba en faiblesse. Quand elle revint à elle, elle reconnut Regnaut grâce à une cicatrice qu'il avait au front, puis ayant reconnu les trois autres, elle les embrassa tendrement et les emmena dîner avec elle. Le père rentra de la chasse, mais ne reconnut point ses fils. La mère lui dit que ces quatre hommes étaient leurs fils. Le duc Aymon fut fâché et leur dit sa colère. Regnaut lui reprocha le tort qu'il leur avait fait et ajouta :
— Puisque vous nous voulez tant de mal, faites-nous trancher la tête ; vous serez ami de Charlemagne et ennemi de Dieu.

Le père soupira, mais voulait que ses fils s'en allassent. Regnaut lui répliqua qu'il préférait tomber sous les coups de son père et il tira son épée à moitié de son fourreau. Allard tenta de le calmer, mais Regnaut continua ses invectives. Alors le duc Aymon se mit à pleurer. Il dit ensuite à la duchesse :
— Donnez de l'or et de l'argent à mes enfants, donnez-leur aussi des chevaux et des sommiers (1) autant qu'ils en auront besoin.
— Père, dit Regnaut, je vous remercie de votre bonne volonté ; nous partirons demain. Je puis vous dire que nous ne serions jamais revenus sans l'amitié que nous avons pour notre mère.

Aymon lui dit ensuite :
— Vous savez ce que le roi m'a fait faire contre vous. Je suis bien fâché d'avoir combattu contre vous dans les forêts d'Ardennes, mais j'y étais contraint pour mon honneur et pour maintenir la paix avec Charlemagne. Votre mère peut vous donner tout ce qui vous est nécessaire ; pour moi, je m'en retourne dans les bois.

La duchesse fut bien satisfaite de ce que le duc Aymon lui avait donné la permission d'agir à sa volonté. Elle appela ses enfants et leur dit :
— Puisque votre père n'est plus ici, vous serez bien traités.
Elle fit préparer un bain où ils se lavèrent, et leur donna à chacun un manteau d'écarlate, fourré d'hermine. Quand elle les eut bien rétablis, elle les conduisit dans une chambre où était le trésor de son mari et elle le leur montra. Regnaut voyant un si riche trésor, ne put contenir sa joie et dit à sa mère :
— Nous vous avons bien des obligations, vous nous secourez à propos car nous en avions besoin.

Alors il prit le trésor, et paya un messager et plusieurs autres à son service pour un an. Regnaut et ses gens se couchèrent cette nuit au château, et le lendemain ils partirent et menèrent avec eux environ cinq cents hommes tous bien armés. La duchesse dit alors à ses enfants :
— Je voudrais que vous alliez en Espagne, car le pays est fort bon.

Ils répondirent :
— Nous sommes prêts à vous obéir.

Ils se mirent en chemin, mais à peine étaient-ils partis, qu'ils rencontrèrent leur cousin Maugis qui venait de France. Il courut aussitôt embrasser Regnaut et ses autres cousins. Regnaut lui dit :
— Où avez-vous été que nous ne vous ayons point vu ?
— Cousin, dit Maugis, je viens de Paris, où j'ai vu le roi qui était bien armé.

Regnaut partit et rencontra son père. La mère était triste du départ de ses fils, mais Aymon la rassura et lui dit :
— Ne vous chagrinez pas, vos enfants sont en bonne santé.

  1. Sommier = cheval de charge. A rapprocher de l'expression : « bête de somme » ; la « somme » étant la charge portée sur la selle (le « bât »).



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