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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE XXXI

L'âme de l'empereur Louis

Comme son frère Charles le Chauve, Louis le Germanique semblait prédestiné aux aventures peu agréables et, plus que lui-même encore, aux choses extraordinaires.

Le roi de Germanie, habile et brave; eut de brillants succès. Sans parler de la Lorraine qu'il acquit par un traité, il soumit les Obrotites du Mecklembourg, arrêta les incursions des Venèdes et enfin, plus tard, dompta la Bohême et repoussa les Danois. Mais avant son triomphe définitif sur les Bohémiens, en 873, ses troupes éprouvèrent un échec en combattant les gens de la Bohême. C'était en 851... triste année ! car la Germanie était ravagée par la famine : en cette année fut si grant famine par toutes terres mesmement ès Allemaignes que l’enfant s'efforça de dévorer le père. Aux horreurs de cet affreux tableau, l'histoire oppose le spectacle consolant du dévouement d'un grand évêque : et lors estoit Rabanus archevêque de Mayence quy durant icelle (famine) fit moult de biens aux poures. C'est dans cette fatale année que les Allemands du roi Louis en vinrent aux mains avec les soldats de la Bohême.

Sceau représentant Louis le Germanique

Sceau représentant Louis le Germanique

Les Allemands, par leur orgueil, leurs débauches, leurs impiétés, avaient irrité le Dieu tout-puissant, et il les punissait par des fléaux et des défaites. Les sujets de Louis furent vaincus; mais, pour prouver que c'était en punition de leurs péchés et pour toucher, par un épouvantable spectacle, ces cœurs endurcis, Dieu permit qu'ils eussent contre eux un adversaire bien autrement terrible que les Bohémiens et qu'ils le vissent à l'œuvre.

Pendant la bataille, tous purent apercevoir le diable en personne, planant au-dessus des rangs germains. Son aspect était effroyable : il avait le corps velu et d'un noir rougeâtre, des cornes aiguës, de grandes ailes de chauve-souris, l'œil livide et plein de rage ; il tenait à la main un glaive étincelant, frappant à droite et à gauche. Les guerriers de Louis tombaient comme des feuilles mortes et jonchaient le champ du combat: il fist grant occision. Cette vue seule décourageait les Germains, qui finirent par s'enfuir, d'autant que, de sa voix de tonnerre, Satan criait que Dieu l’avoit permis pour les péchez, orgueil et désordre qui estoit entre eulx.

II faut croire que les grands et le peuple de Germanie s'amendèrent, puisque, en 873, ils prirent une éclatante revanche et domptèrent la Bohême.

II

Louis avait été mauvais fils, enfant ingrat et rebelle ; il était en armes contre son père quand celui-ci, épuisé de fatigues et brisé par la douleur, se coucha sur son lit de mort. Louis le Débonnaire avait dit, avant d'expirer : « Je pardonne à Louis, mais qu'il songe à lui-même, lui qui, foulant aux pieds la loi de Dieu, a traîné son père au tombeau par ses cheveux blancs. » Comme il avait traité son père, il fut traité par ses fils, qui, mécontents de la manière dont Louis le Germanique avait partagé ses États entre eux, se révoltèrent contre lui. Ainsi l'avait permis le Dieu vengeur. Louis avait étouffé ces révoltes, mais il en avait été profondément affligé. Le Tout-Puissant punit quelquefois le crime par le crime, mais il ne laisse pas le crime triomphant.

En l'an 873, un des fils de Louis fut tout à coup possédé, infesté et travaillé du dyable. Dans des accès épouvantables, il se tordait, rugissait, écumait, se déchirait de ses ongles et, devant son père et les barons du palais, il révéla la cause de cette horrible possession : et luy estant en cette vexation disoit que ce luy estoit advenu par ce qu'il avoit voulu machiner et faire conspiration contre son père.

Comme le père avait pleuré ses fautes et les criminelles tentatives de sa jeunesse, de même, sans doute, Charles s'amenda et fut arraché aux griffes de Satan, car nous le verrons régner plus tard, être empereur et même, pendant quelque temps, roi des Français, sous le nom de Charles le Gros... triste prince qu'on fut obligé de déposer, mais qui trouva, comme consolation suprême, dans ses dernières années, les sentiments d'un chrétien et d'un pénitent, pour se préparer à la mort. —Nous le retrouvons, dans le volume suivant, héros d'une singulière aventure, d'une étonnante vision.

III

Avant lui, son père Louis le Germanique vit aussi un instant, en esprit, les choses de l'autre monde.

Des chroniques attribuent l'aventure au petit-fils de Louis le Débonnaire et non à son fils. Ce serait alors Louis II dit le Jeune ou l'Italique, fils de Lothaire qui mourut en 875; ou bien ce serait plutôt Louis III de Germanie, second fils de Louis le Germanique qui ne mourut qu'en 882.

Nous excluons d'autant mieux Louis le Germanique que le vieil écrivain qui lui attribue la vision, nomme Louis le Débonnaire son père ayeul, et plus loin son ayeul; or, Louis le Germanique est le fils et non le petit-fils de Louis le Débonnaire.

Quoi qu'il en soit, en l'an 875, le roi Louis reposait la nuit dans son palais ; pendant son sommeil il entend un léger bruit, puis il voit, s'avançant vers sa couche, une forme humaine drapée, non point dans un suaire, mais dans un manteau d'empereur. Le fantôme portait la couronne impériale d'or sur la tête. Sa figure pâle, des yeux pleins de larmes, tout son aspect exprimaient une profonde douleur. « Qui êtes-vous?... s'écria Louis.

— Ne craignez rien, mon fils, je suis votre aïeul, l'empereur Louis, fils de Charlemagne. Vous ne pouvez me reconnaître, vous êtes trop jeune pour m'avoir vu.

— 0 mon père, quel est votre sort dans l'éternité?... Où êtes-vous?... Votre aspect, les souffrances que vous paraissez endurer me disent que vous n'êtes pas avec Dieu, vous pourtant qu'on nommait le Pieux...

— Je vous remercie de votre compassion, ô Louis, mais calmez vos craintes, grâce au Dieu miséricordieux, je ne suis point condamné aux supplices éternels ; mais pour mes péchés, pour mes faiblesses, dont je n'ai pas fait assez pénitence, je souffre dans les cachots du purgatoire. Où en est donc la date du monde ? il me semble qu'il y a des siècles que je suis dans les flammes, et cependant, je le sais, vous êtes mon petit-fils, le fils de Louis.

— Hélas ! ô père, il n'y a pas des siècles, mais trente-cinq ans seulement que vous avez quitté la terre... Mais, grand Dieu! c'est encore avoir trop longtemps souffert, que dois-je faire pour secourir votre âme?

— Mes fils m'ont bien longtemps oublié ; les prières qu'ils ont faites ou fait faire n'ont pas suffi pour me délivrer ; je les excuse, ils ont cru Louis le Pieux meilleur qu'il n'était. Vous, mon petit-fils, soyez généreux envers moi. »

Alors il pria Louis en luy adjurant et requerant, en l'honneur de la saincte Trinité, qu'il luy voulsist ayder et mettre hors des peines de Purgatoire ou il estoit détenu et ce en priant et faisant célébrer des messes et en accomplissant plusieurs bonnes œuvres à son intention. Puis il l'avertit qu'il eût lui même à bien vivre, à craindre Dieu, à fuir le péché et les fautes que l'ambition fait commettre trop souvent aux princes de la terre.

Alors comme une vapeur légère, le spectre sembla se dissoudre, se fondre et disparut.

Louis, éveillé, s'émerveilla fort de la vision, il prit à cœur les graves paroles de son aïeul et surtout il se mit à exécuter les recommandations du cher et vénérable défunt : il fis à cette cause de grans dons et aulmosnes aux églises et abbayes et ailleurs pour prier Dieu pour l'âme de son dit ayeul.



Chapitre XXXII : Le manteau de parchemin.
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