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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE XXVII

La procession des Rameaux

Gloria, laus, et honor tibi sit,
Rex, Christe redemptor.......

Tout le monde, chroniqueurs et historiens, s'accorde à reconnaître pour l'auteur de cette hymne si pieuse et si connue qui se chante à la procession des Rameaux Théodulphus, évêque d'Orléans. Mais les légendes seules mentionnent les circonstances dramatiques où le prélat composa et chanta ces vers.

Avant de les raconter nous donnerons des détails sur ce personnage célèbre, un des familiers de Charlemagne.

Theodulf était Goth d'origine, d'une famille distinguée établie dans la Gaule Cisalpine. Il avait étudié à Athènes. Avec Alcuin et Leitrade, c'était un des savants dont le grand roi faisait le plus volontiers sa société. « Ce fut, dit un auteur moderne, le promoteur de l'éducation gratuite dans les Gaules, le maître des magistrats, poète érudit, souvent gracieux, toujours utile. »

Nous avons vu, dans le chapitre XVIIIe, sa circulaire aux curés du diocèse d'Orléans dont il était évêque depuis 781, pour les engager à diriger dans les paroisses, des écoles gratuites.

Outre son hymne Gloria, laus, nous avons de lui plusieurs poëmes. Un des plus curieux est celui où un berger : Pseutis (le mensonge) et une bergère : Alitheia (la vérité) se disputent le prix du chant, l'un déroulant l'origine du monde d'après la fable et tous les gracieux mensonges de la mythologie, l'autre lui opposant le sublime récit de la Genèse sur la création, les scènes de l'histoire sainte, du déluge, de la vie des Patriarches, c'est le paganisme en face de la religion véritable, c'est, au fond, l'idée et la poétique développées dans les Martyrs, de Chateaubriand. Le poème de Theodulf se termine par la sentence du juge: Phronesis (la Prudence) qui décerne la palme de la victoire à la bergère Alitheia.

Theodulf fut un des missi dominici envoyés dans les provinces par Charlemagne. Le littérateur apparaît toujours sous l'homme politique et c'est en vers que Theodulf écrivit son voyage plein de détails curieux sur les mœurs du temps et semé d'observations très sages.

C'est dans ce récit poétique, adressé aux juges, que l'envoyé royal s'élève contre une foule d'hommes injustes qui s'efforçaient de vaincre l'intégrité des missi dominici, par leurs présents. Ainsi pour faire retourner à l'état de serfs des citoyens affranchis, pour garder un héritage sans le partager avec des frères, pour gagner injustement un procès on offrait au Seigneur (l'envoyé royal) des vases ciselés où est représentée l'histoire d'Hercule, des manteaux venant d'Arabie, de brillantes couvertures de lit, des monnaies arabes, des cristaux, des pierreries ou bien des mulets, des chevaux. D'autres, moins riches, sollicitaient les valets de l'inspecteur royal et promettaient de lui envoyer des peaux de Cordoue, blanches ou rouges, des étoffes de laine, de belles toiles, des coffres et jusqu'à des bougies de cire bien fine. En voyageant ainsi, Theodulf n'oublie pas de dire un mot des pays qu'il parcourt ; il vante la grandeur et la splendeur de Nîmes, il nomme la belle Toulouse, l'opulente Arles, Narbonne encore plus noblement décorée.

Rien d'étonnant que ce littérateur, ce poète, cet évêque ait été tenté par un sujet sacré et ait composé le Gloria, laus.

Mais ce qui est intéressant ici, c'est l'événement qui fournit au poète l'occasion de produire ses vers.

II

Theodulf, l'ami de Charlemagne, eut aussi d'abord l'estime et la confiance de Louis le Débonnaire. Ce fut lui, que ce prince envoya au devant du pape Etienne IV, qui venait sacrer Louis. Le pape décora l'évêque d'Orléans du titre d'archevêque et du pallium.

Survint la révolte de Bernard d'Italie ; la sédition une fois vaincue et les coupables punis si cruellement, comme nous l'avons vu, la sévérité du roi tomba sur les complices. A tort ou à raison Theodulf fut accusé d'avoir trempé dans les complots du neveu de Louis le Débonnaire et il encourut la disgrâce du monarque. Ainsi que l'archevêque de Milan et celui de Crémone, il fut déposé, dans un synode, exilé à Angers et enfermé dans une prison.

Pour charmer un peu ses ennuis, l'évêque d'Orléans se livra à la poésie: il chanta ses malheurs dans des vers où il proteste de son innocence, se comparant à Ovide, injustement relégué dans une contrée barbare. Les muses n'adoucissaient guère ses chagrins, paraît-il, car il se plaint amèrement, dans ses strophes, d'être traité plus durement que les derniers des serfs, des matelots et des pâtres, auxquels on ne refusait pas la faculté de se défendre et de recourir à l'impartialité des lois.

Servus habet propriam et mendax ancillula legem,
Upilio, pastor, nauta, subulcus, arans.
Proh dolor! amisit hanc solus episcopus........

Il oubliait, dit un historien, qu'il s'agissait d'un crime d'État.

Quoiqu'il en soit, l'évêque Theodulf, vers la fin du carême, se mit à composer un chant latin, chant de joie et de triomphe sur l'entrée du Sauveur à Jérusalem. Puis vint le jour des Pâques fleuries, le dimanche des Rameaux..... La procession déroula, comme à l'ordinaire et plus qu'à l'ordinaire, sa pompe touchante à travers les rues d'Angers. Au premier rang derrière le clergé, marchait l'empereur Louis entouré de ses leudes, de toute sa cour brillante. Tout à coup, au moment où la procession passait devant la prison, de l'une des fenêtres s'élève une voix forte et harmonieuse, entonnant la strophe si connue :

Gloria, laus, et honor
Tibi sit, Rex Christe redemptor
Cui puerile decus
Prompsit hosanna pium.

Louis étonné s'arrête, il écoute. La voix continue, celui qui chantait ainsi, s'était sans doute aperçu qu'on l'écoutait, le chant semble alors augmenter d'éclat et d'enthousiasme.

Le monarque fait un signe, la procession s'arrête : les rangs du clergé, et des fidèles sont là immobiles ; un silence solennel permet d'entendre au loin les paroles qui s'adressent au Roi de gloire, au Sauveur triomphant. Seulement pour peu qu'on voulut détourner les paroles de leur sens le plus élevé, elles semblent pouvoir s'adresser au grand prince qui est là :

Nomine qui im Domini,
Rex benedicte venis....

Puis

Cum prece, voto, hymnis
Adsumus ecce tibi........
.........................
.. Placeat devotio nostra,
Rex bone, Rex clemens,
Cui bona cuncta placent.......

Le roi n'avait pas dit un mot, tant que le chant déploya ses gracieuses mélodies..... quand la voix eut cessé, Louis demanda vivement quel était le prisonnier qui chantait ainsi une hymne jusque-là inconnue, hymne pleine de poésie et de piété modulée par une voix si belle.

On courut à la prison, on s'informa et l'on vint dire au Roi que c'était l'infortuné Theodulf, l'évêque d'Orléans, qui avait composé un chant nouveau et l'avait chanté.

J'aurais dû m'en douter...Theoldulf a un si beau talent pour la poésie !... Quel dommage !... Je sais qu'il proteste de son innocence... Enfin, s'il est innocent, il est juste qu'il soit mis en liberté, s'il a été coupable envers moi, je lui fais grâce.... mais j'entendrais bien volontiers encore ce beau chant. Theodulf qui avait tout écouté s'approche davantage de la fenêtre adresse au roi, les larmes aux yeux, d'ardentes actions de grâce et recommence son pieux cantique, appuyant avec émotion sur ces mots :

Rex bone, Rex clemens

Les yeux du bon roi se mouillèrent de larmes, et le peuple accueillit par des vivats l'acte de clémence de son souverain.

Theodulf sortit de sa triste prison.

Louis voulut que désormais on chantât, à pareil jour, cette hymne de Theodulf et depuis lors, nous entendons, avec bonheur, tous les ans, ce chant ravissant du Gloria laus.

Theodulf, paraît-il, ne remonta pas sur son siège épiscopal, il resta à Angers, et mourut dans cette ville en 821.



Chapitre XXVIII : Un duel au château d'Aix-la-Chapelle.
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