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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE XXXII

Le manteau de parchemin

En ce temps-là il y avait à Paris un chantre nommé Silon. Il était attaché aux écoles fondées par Charlemagne ; les jeunes clercs qui fréquentaient les classes de littérature et de sciences se formaient aussi à la musique sacrée. Silon était donc un artiste remplissant dans les églises les fonctions honorables de chantre. En même temps qu'il consacrait sa voix et ses talents à la gloire de Dieu, à la splendeur des offices sacrés, il était professeur : il donnait aux jeunes gens des leçons de chant et les initiait à tous les secrets de l'art musical tel qu'on le pratiquait au Xe siècle.

Un de ses élèves tomba grièvement malade. Dans ces temps de foi vive, on ne craignait pas de parler à un moribond de sa fin prochaine, et le malade ne redoutait pas de fixer ses regards sur ces rivages de l'éternité qu'il allait toucher bientôt.

Silon allait souvent visiter son élève, il aidait à le soigner, il le consolait et lui parlait de Dieu ; mais, en même temps, il constatait avec douleur les progrès rapides du mal. Un jour il lui dit :

« Cher enfant, vous allez sans doute mourir. Vous savez combien je vous porte d'intérêt, combien j'ai pour vous d'affection ; j'aurais voulu vous voir heureux sur cette terre, mais, puisque Dieu en ordonne autrement, je voudrais bien au moins savoir si vous serez, heureux dans l'autre vie, comme j'aime à l'espérer.

— Je l'espère aussi de la miséricorde divine ; mais comment pourriez-vous être informé de mon sort futur ?

— Promettez-moi, si Dieu le veut, de venir, après votre mort, m'apprendre ce qui vous sera arrivé, m'instruire de votre sort dans l'autre monde.

— Oui, si Dieu le veut bien, je viendrai, je vous le promets. »

Le jeune écolier mourut, Silon le pleura, et c'est avec une profonde douleur qu'il assista à ses obsèques. On sentait que l'émotion le dominait quand il mêla sa voix à celle des prêtres pendant la cérémonie funèbre.

Quelques jours après, un soir, le chantre était seul dans sa modeste chambre, étudiant ou rêvant, et sans doute ne songeant plus à ce qu'il avait demandé au jeune malade. Tout à coup il entend derrière lui un léger frôlement...., un être humain se trouve là et s'avance lentement. Cette ombre, car ce ne pouvait être autre chose, ce spectre avait sur les épaules un manteau descendant jusqu'à terre, mais manteau singulier, car il était en parchemin et tout couvert de lignes d'écriture : c'étaient des sentences de la Bible, des arguments, des thèses théologiques et philosophiques. L'intérieur, au lieu d'être revêtu de quelque étoffe ou d'une fourrure, semblait doublé de feu; cette flamme pétillait et agitait le manteau.

Silon, au comble de la surprise et de l'effroi, contemplait d'un œil égaré cet étrange spectacle et, cloué sur sa chaise, il n'osait ni fuir ni appeler. Enfin il parvint à articuler ces mots :

« Qui êtes-vous ? grand Dieu ! qui êtes-vous ?

— Vous ne me reconnaissez pas !... regardez-moi et dominez votre frayeur. Je viens accomplir la promesse que je vous ai faite : je suis l'écolier mort il y a trois jours. Vous avez voulu avoir de mes nouvelles d'au delà de la tombe, Dieu y a consenti, je suis venu.

— Pardonnez à mon trouble, répondit Silon en frissonnant ; ma demande a été téméraire, je ne prévoyais pas combien une apparition de l'autre monde pouvait m'épouvanter... Mais enfin vous étiez mon ami, votre présence ici ne peut me présager aucun malheur sans doute ?

— Non... c'est le Dieu miséricordieux qui m'envoie.

— Eh bien donc ! je vous écoute, je désirerais connaître votre sort... quel est-il ?... Vous n'êtes pas au ciel, je le vois, mais...

— Si j'étais condamné aux feux éternels, je ne vous serais pas apparu, je suis en purgatoire.

— Oh ! je prierai pour vous... ; mais que signifie donc ce manteau de parchemin couvert d'écriture ?

— Ce manteau avec ses lignes écrites, ces arguments, ces thèses, m'a été imposé en punition de la vaine gloire que je ressentait quand je croyais briller par mes beaux raisonnements, par mes travaux littéraires... Je les porte maintenant sur mes épaules, ces écrits qui me rendaient si orgueilleux; ils m'écrasent, c'est un poids énorme sous lequel je me sens toujours près de m'affaisser. De plus, ce manteau est doublé de flammes qui me brûlent : c'est pour me punir d'avoir porté autrefois des pelleteries délicates et coûteuses, des fourrures variées que j'étalais avec complaisance et avec le désir d'attirer les regards. Hélas! hélas! que je souffre !

— Il me semble que ce n'est pas là un supplice si rigoureux : ces flammes ne vous consument pas, et ce manteau de mince parchemin ne devrait pas être bien lourd.

—Ah ! vous croyez?... combien vous vous trompez : voyez donc la sueur qui coule de mon visage et de tous mes membres... Tenez, pour vous montrer combien vous appréciez mal la grandeur de mes tourments, pour que vous puissiez juger un peu de la rigueur de ma peine, tendez votre main. »

Silon tendit sa main en tremblant, et sur le revers de cette main, le spectre laissa tomber une goutte de sueur. Le chantre poussa un cri perçant, il lui sembla qu'une flèche avait percé sa main, il ressentait une douleur horrible.

« Vous le voyez, dit le défunt, les souffrances d'ici-bas ne peuvent se comparer à celles du purgatoire, et voilà ce qui attend les hommes, même pour des fautes légères. Dieu, en me permettant de vous apparaître et de vous parler, n'a pas eu pour but de satisfaire seulement votre curiosité, il a voulu que vous profitiez de ce que vous voyez et entendez pour le plus grand bien de votre âme. Adieu, priez pour moi. »

A ces mots, le fantôme glissa vers l'extrémité de la chambre, sembla s'enfoncer dans la muraille, et disparut.

Silon fut tellement frappé de ce qu'il avait vu, tellement effrayé de la rigueur des peines par lesquelles les pécheurs achèvent de satisfaire à la justice divine, dans le lieu des expiations, qu'il quitta le monde et embrassa la vie religieuse.



Chapitre XXXIII : Les Rois de mer.
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