Accueil --> Liste des légendes --> Chapitre 25.


Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE XXV

Le siège de Barcelone

L'histoire n’a pas toujours été juste envers le fils de Charlemagne, nommé Louis Ier, le Pieux, ou le Débonnaire. Ce n'était pas un prince sans mérite : il avait déployé de la valeur et des talents militaires à la guerre, de l'habileté et de la prudence pendant la paix. Charlemagne, un jour, en parlant de lui, s'était écrié : « O mes amis, réjouissons-nous, car nous sommes vaincus par la sagesse de ce jeune homme. » II mérita ces éloges tant qu'il fut roi d'Aquitaine et qu'il fut guidé par le génie de son père. Plus tard, le fardeau de l'empire devint trop lourd pour lui. Son intelligence n'avait pas faibli, sans doute, mais, abandonné à lui-même, il subit l'influence malheureuse de ses défauts. Sa conscience timorée manquait de rectitude, et son caractère d'énergie. Mieux étudié cependant, ce monarque aurait droit à plus de justice.

C'est le premier de nos rois qui porte le nom de Louis. La légende adoptera bien, si l'on veut, l'étymologie de ce nom donnée par le poète de Louis Ier, Hernold le Noir. « Le nom de Louis, qui vient de Ludus, apprend que c'est en se jouant qu'il a donné la paix à ses sujets. » L'histoire adoptera, au contraire, l'étymologie plus sérieuse présentée par le même écrivain, c'est évidemment la bonne : « Si l'on préfère, dit Hernold, consulter la langue des Franks, on verra clairement que ce mot est composé de Huld, qui veut dire fameux, et de Wig, qui signifie Mars. Huld-Wig ou Hold-Wig a fait Clovis, et de Clovis s'est formé Louis. » C'est un des plus beaux noms de l'histoire de notre France, car il a été illustré par de bien grands rois.

Louis Ier n'était donc encore que le jeune et brillant roi de l'Aquitaine, c'était en 800. Après en avoir conféré avec le duc Guillaume, il résolut de s'emparer enfin de Barcelone. Il convoqua une grande assemblée à Toulouse, où se trouvèrent les comtes et tous les grands d'Aquitaine. Le roi leur ordonna de réunir leurs troupes, et de venir se joindre à lui, au printemps, pour faire le siège de Barcelone.

Tous furent exacts. L'armée de siège était sous les ordres de Rostragne, comte de Girone. Le duc Guillaume devait, avec une partie des troupes, arrêter les forces auxiliaires que le calife de Cor-doué envoyait au secours de la capitale de la Catalogue. Les Arabes expédiés par le calife n'osèrent pas se mesurer avec l'armée du duc Guillaume ; ils traversèrent les Asturies, et furent battus par les habitants de cette héroïque province. Alors Guillaume revint avec ses soldats devant Barcelone, et les travaux du siège continuèrent avec plus de vigueur.

Louis en personne, commanda d'abord la réserve, mais après le retour de Guillaume, il se mit à la tête de toutes les troupes massées sous les murs de la ville. C'était un beau spectacle que cette formidable réunion de braves, commandés par une foule de capitaines illustres. Franks, Vascons, Goths, Aquitains, obéissaient à des hommes comme Héribert, Liuthard, Sanche, Hisambard et tant d'autres qu'il serait trop long de nommer, mais dignes tous de passer à la postérité.

Les champs étaient pleins de guerriers, les feux de bivouac brillaient au loin dans la plaine.

Le roi donne ses ordres : alors ceux-ci s'en vont dans les forêts et au bord des ruisseaux, et sous la hache, tombent les pins gigantesques, les hauts peupliers. D'autres conduisent sur les chariots ces arbres énormes, et les livrent aux habiles ouvriers qui en construisent vivement des échelles, des pieux aigus, tout ce qui est nécessaire pour l'attaque. D'autres préparent les engins meurtriers, amènent et entassent les pierres plus dures que le fer.

Mais ce n'est rien encore que ces préparatifs; quel spectacle imposant et terrible, quand une grêle de flèches, quand une nuée de javelots aux pointes de fer, fondirent sur la ville, quand la fronde fit pleuvoir des milliers de pierres sur les remparts, quand le bélier, avec un fracas de tonnerre, résonna sur les portes bardées d'airain !

Un Maure, un chef intrépide nommé Zadun, avait le commandement dans la place. A la première attaque, il arrive sur les remparts, la foule effrayée l'entoure.

« Quel est ce bruit nouveau ? » dit-il sans s'émouvoir.

Ses guerriers lui répondent : « Aujourd'hui, ce n'est pas ce vaillant prince des Goths, que notre lance a cependant repoussé tant de fois loin de ces murs, qui vient tenter le sort des combats, c'est Louis, l'illustre fils de Karl; lui-même commande ses ducs et a revêtu son armure. Si Cordoue ne nous secourt promptement, nous, le peuple, cette ville redoutable, nous périssons.

— Ne craignez rien, dit Zadun de l'air le plus calme, nous résisterons assez longtemps pour attendre le secours que nous destine le calife ; j'ai envoyé et j'enverrai encore des messagers à Cordoue pour hâter l'arrivée de nos auxiliaires. » Ces paroles relèvent un peu les courages, mais bientôt on tremble de nouveau dans la cité. Le bélier des Franks frappe avec fureur les murs revêtus de quatre épaisseurs de marbres, et les traits pleuvent toujours sur les toits et dans les rues, plus pressés que les flocons de neige en hiver.

Un jour, un grand et superbe guerrier maure, le vaniteux Durzaz, montant sur une des tours, se prit à crier :

« Nation trop cruelle et qui étends tes ravages sur le vaste univers, pourquoi viens-tu battre de pieux remparts et inquiéter des hommes justes? Penses-tu donc renverser si promptement des murailles, travail des Romains, et qui comptent mille ans d'existence? Barbare Frank, éloigne-toi de nos yeux, ta vue n'a rien d'agréable, et ton joug est odieux. »

Childebert, l'habile archer frank, a écouté ces insolentes paroles en silence, ses yeux s'animent d'un feu sombre ; il ne répond pas, mais il saisit, son arc d'une main, une flèche acérée de l'autre, et, allant se placer en face de l'orgueilleux fanfaron, il courbe avec effort l'arc de corne..... le trait part, siffle et va s'enfoncer dans la bouche insolente qui vient de prononcer cet outrageant discours. Le sang noir du Sarrasin rejaillit jusque sur les soldats franks qui sont au pied des murs, et Durzaz est emporté mourant par les siens.

Un cri de triomphe accueille ce beau fait d'armes, tandis que dans la ville les pleurs et les cris plaintifs retentissent longtemps. Animés par cette éclatante action, nos paladins redoublent d’ardeur ; de loin et de près ils immolent les chefs ennemis qui sont sur les murs. Guillaume tue Habridar, Luithard immole Uriz. Un coup de lance arrive jusqu'à Zabirezum et le transperce; des javelots des flèches donnent la mort à Gozan, à Uzacan, à Corizan. Les intrépides assiégeants ne peuvent atteindre autrement leurs ennemis, et ils regrettent de ne pouvoir les combattre corps à corps ; mais le rusé Zadun a défendu aux siens toute sortie, il ne veut pas se mesurer avec les héros franks en bataille rangée, toutes les ruses et toutes les embuscades sont inutiles. Vingt jours se passent ainsi; bien des guerriers chrétiens succombèrent, mais un plus grand nombre d'infidèles payèrent leur obstination de leur vie.

Enfin Zadun l'intrépide se dévoue pour sauver les siens: une nuit, seul, déguisé, il se fait descendre par-dessus le rempart, il se glisse dans l'ombre, il rampe, pour ainsi dire, le long de la muraille. Il s'en va ainsi pour gagner la route qui conduit à Cordoue afin de faire connaître au calife l'extrémité où en est réduite Barcelone. Hélas ! il ignore encore que les troupes du calife se sont mises en route et qu'elles ont été battues par les Asturiens. Zadun espère accomplir heureusement sa périlleuse entreprise, du reste il a tout prévu.

« Si, ce qu’à Dieu ne plaise, j'étais pris par les assiégeants, avait-il dit à ses capitaines, écoutez bien, je vous crierai d'ouvrir les portes aux chrétiens et de vous rendre, mais vous vous en garderez bien, car je vous ferai ce signe de la main..... et il voudra dire : refusez d'obéir à Zadun, résistez toujours, Cordoue ne peut pas nous oublier. »

Les sentinelles franques ne dormaient pas, et cet homme qui se glissait mystérieusement au bas des murs, fut bientôt pris et amené au roi Louis. On reconnut Zadun. Le roi lui promit la vie sauve, s'il voulait commander à ses soldats de rendre la place de Barcelone.

Conduit près des remparts, Zadun cria en effet aux siens : « Ouvrez vos portes, rendez vous, c'est moi Zadun qui vous l'ordonne. » Mais en même temps il fit le signe convenu, et les assiégés refusèrent énergiquement.

« Vous le voyez, prince, on s'entête à se défendre, on ne m'obéit pas. »

On crut à la bonne foi du rusé Sarrasin et on ne lui fit point de mal. Mais on redoubla d’ardeur; une sainte et noble colère enflamme tous les cœurs, un assaut victorieux est donné, les murs s'entrouvrent, les portes sont enfoncées, la ville est prise, et la bannière de Louis y flotte enfin.

Alors les mosquées furent purifiées et converties en églises. On trouva à Barcelone de grandes richesses, et Louis envoya à Charlemagne une partie du butin, présent magnifique qui se composait, entre autres choses précieuses, de riches habits, de cuirasses, de casques ornés de crinières, de chevaux, d'un surtout, d'un cheval parthe couvert d'un splendide harnais, avec un frein d'or.

Telle est cette fameuse prise de Barcelone que le poète Ernold Nigel (ou le Noir) raconte dans les vers qu'il composa à la gloire de son royal maître.



Chapitre XXVI : L'année terrible.
Retour à la liste des légendes
Retour à la page d'accueil

Site optimisé pour Firefox, résolution minimum 1024 x 768 px

Flux RSS : pour être au courant des derniers articles édités flux rss