Accueil --> Liste des légendes --> Chapitre 29.


Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE XXIX

Les fêtes du serment

I

Ce fut une lutte des plus solennelles que celle des trois fils de Louis le Débonnaire après la mort de ce prince. Les peuples qui se rangeaient sous chacun des étendards des trois jeunes monarques n'avaient qu'un désir, assurer leur indépendance, leur nationalité distincte et empêcher de réformer l'empire unique, comme sous Charlemagne. Lothaire, qui était l'empereur, voulait empêcher la réalisation de ce plan et mettre sous sa puissance Charles et Louis qui n'auraient été que ses vassaux. Ces derniers s'unirent, Lothaire flatta et reconnut comme souverain de l'Aquitaine, le fils de Pépin, afin de ne pas s'en faire un troisième adversaire et il marcha contre ses deux frères. En vain lui proposa-t-on de faire régler la querelle et les intérêts qui étaient en jeu, par une assemblée d’évêques et de laïques, Lothaire ne voulut rien entendre et il en appela au jugement de Dieu, par les armes.

Lothaire 1er

Lothaire I. (westfränkischer Kaiser, * 795; † 29. September 855)
in einem Evangeliar Lothar I., Tours, zwischen 849 und 851,
heute in Paris Bibliotheque Nationale de France, Ms. lat. 266, fol. 1

Ce fut non loin d'Auxerre, à Fontanet ou plutôt Fontenay (comme on l'écrit aujourd'hui) que les armées se trouvèrent en présence, armées puissantes et innombrables.

Le sort de l'empire, le sort des populations latines, franques et germaines allait se décider là — moment terrible !... chacun sentait que la bataille allait régler l'état politique de l'Occident.

« Des deux côtés, dit M. Duruy, on se prépara à cette bataille avec une sorte de recueillement religieux qui prouve que les peuples étaient venus à cette lutte suprême comme à un jugement de Dieu. »

Louis et Charles, comme nous l'apprend Nithard, firent dire à Lothaire qu'il eût à savoir que le lendemain, à la deuxième heure du jour, ils en viendraient au jugement du Dieu Tout-Puissant.

Lothaire se railla de ces graves paroles et répondit qu'on verrait bien ce qu'il saurait faire. Hélas ! ce qu'il dût faire, ce fut de fuir, car il fut vaincu. Le combat avait été un des plus sanglants que nous ait transmis l'histoire. Des deux côtés, une foule énorme de guerriers avaient trouvé la mort ; ce fut un massacre, une hécatombe comme on n'en avait peut-être jamais vu : « Tant y eut d'occis de chascune partie, que mémoire d’homme ne recorde mie qu'il y eut oncques en France si grande occision de chrestiens » dit la chronique de Saint-Denys.
(Script... rer... franc... VIII)

Cent mille hommes y périrent, disent quelques auteurs.

La terre de France fut comme dépeuplée de soldats, et livrée d'avance aux invasions de ses ennemis; c'est ainsi, en effet, que les annalistes expliquent les succès des Normands dans notre pays : les champs de Fontenay avaient dévoré les défenseurs du royaume,

Là péri de France la flor
Et des baronz tuit li meillor ;
Ainsi trovèrent paenz terre
Vuide de gent, bonne à conquerre.

A la bataille se trouvait un chevalier nommé Angilbert; poète et guerrier, dans des strophes qui sont venues jusqu'à nous, il exhala, malgré la victoire, ses regrets qui n'étaient que l'écho de la douleur générale :

Maledicta dies illa!
Nec in anni circulis
Numeretur, sed radatur
Ab omni memoria.
Jubar solis illi desit
Aurorœ crepusculo,
Noxque illa, nox amara,
Noxque dura nimiùm
In qua fortes ceciderunt
Prœlio doctissimi!

Et encore les vainqueurs furent généreux. Les deux rois furent pris de pitié, ils résolurent de ne pas pousser jusqu'au bout leur triomphe, d'épargner les fuyards et de montrer à leur frère vaincu et à son peuple, de la pitié et de la miséricorde. L'armée victorieuse y consentit de grand cœur ; noble spectacle ! nobles sentiments bien inconnus des temps antiques! Ces chrétiens vainqueurs avaient presque des remords et il fallut que les évêques rassurassent leur conscience qui leur reprochait d'avoir combattu contre un frère.

Puis le lendemain, qui était un dimanche, après l'assistance à la messe, on enterra les morts des deux partis et l'on soigna avec zèle, avec amour tous les blessés amis et ennemis.

II

Mais la guerre n'était pas finie. Lothaire ne se tint pas pour définitivement vaincu, il recourut à tous les moyens, moyens indignes d'un prince chrétien, il alla jusqu'à offrir un établissement sur les terres de l'Empire aux pirates normands.

Charles, un instant repoussé par les troupes de Lothaire, put rejoindre Louis à Strasbourg. Là, les deux frères conclurent le pacte célèbre dont on nous a conservé la teneur. C'est le plus ancien monument de la langue parlée alors par nos ancêtres ; aussi, comme tous les historiens, nous ne pouvons faire autrement que de le reproduire ici. C'est l'annaliste Nithard qui l'a transmis à la postérité.

Charles prononça le serment en langue romane :
Pro Deo amur et pro Christian poblo et nostro commun salvamen dist di en avant, in quant Deus savir et podir me dunat, si salvari eo cist meon fradre Karlo et in adjudha et in cadhuna cosa, si cum hom per dret son fradre Salvar dsit, ino qui il mi altresi fazed; et ab Ludher nul plaid nunquam prendrai, qui meon vol cist meon fradre Karlo in damno sit.

Comme on le voit, c'est là du latin déformé. En voici la traduction :

Pour l'amour de Dieu et pour le peuple chrétien et notre commua salut dorénavant, en tant que Dieu me donnera de savoir et de pouvoir, je soutiendrai mon frère Charles ici présent par aide et en toute chose, comme il est juste qu'on soutienne son frère, tant qu'il fera de même pour moi, et jamais avec Lothaire je ne ferai aucun accord qui, de ma volonté, soit au détriment de mon frère Charles.

Tel est le serment prononcé par Louis dans la langue des États de Charles.

Charles à son tour répéta la même formule dans la langue que parlaient les peuples du domaine de Louis.
In Godes nami, ind um tes christianes folches, etc. etc.

Voilà le serment des rois, mais les deux peuples ne devaient pas y rester étrangers et ils jurèrent aussi :
Si Loduvigs sagrament que son fradre Karlo jurat, conservat et Karlus, meos sendra, de suo part non lo stanit, si io returnar non lint pois, ne io ne neuls cui eo returnar int poiz in nulla adjudha contra Lodhuvig non li iver.

Si Louis garde le serment qu'il a prêté à son frère Charles, et si Charles, mon seigneur, de son côté, ne le tient pas ; si je ne puis l'y ramener, ni moi ni aucun autre de ceux que je puis y ramener, je ne lui donnerai aucune aide contre Louis.
Oba Karl then eid then er sineno bruodher Ludhwige, etc, etc.

Ici chaque peuple prononce le serment dans sa propre langue.

III

Ce fut une grande joie pour les princes et pour les armées, une grande joie pour les peuples que cette alliance des deux puissants monarques. Elle se manifesta par des festins et des fêtes brillantes qui émerveillèrent la noble cité de Strasbourg et tous ceux qui y étaient accourus des alentours.

C'est là qu'eurent lieu ces jouxtes racontées par Nithard, et qui ont semblé les premiers spécimens ou au moins les préludes des brillants tournois du moyen âge.

Dans un lieu propre à ce spectacle, une foule énorme de spectateurs vint se ranger en un cercle immense autour de l'arène. Des barrières qu'on ne pouvait franchir isolaient le champ du combat. Sur ce champ étaient différentes phalanges de guerriers saxons, gascons, austrasiens et bretons. Alors, de leurs rangs se détachait un nombre déterminé de paladins qui couraient d'un pas rapide, les uns sur les autres, comme s'ils eussent voulu combattre sérieusement. Ceux qui étaient les plus faibles s'en retournaient vers leur parti en se couvrant de leurs boucliers. Puis ils repartaient de leur camp, reprenaient l'offensive et se mettaient à poursuivre ceux qui les avaient attaqués et mis d'abord en fuite. C'étaient des luttes qui recommençaient ainsi avec des chances diverses. Alors les rois eux-mêmes, chacun entouré de la cohorte brillante de ses jeunes gardes, lâchaient la bride à leurs coursiers et s'élançaient l'un contre l'autre en poussant de grands cris.

Ils agitaient leurs petites lances et chargeaient , eu fuyant tour à tour leurs ennemis.

C'était un ravissant coup d'œil, « un délicieux spectacle, » et, ajoute le vieil historien, ce spectacle demeura, par la modération universelle, digne d'une si noble assemblée.

En effet, aucun accident ne signala ces périlleux passe-temps, personne ne fut blessé ou offensé.

Si ce n'est là un vrai tournoi, cela y ressemble beaucoup, et l'on a eu tort, il me semble, de comparer ces fêtes à d'autres jeux semblables de la même époque, aux fantasia des Arabes.

Ce n'était pas la première fois qu'on voyait chez nous de pareils exercices guerriers, puisque Nithard ajoute : « II n'y eut personne de blessé ou d'offensé, ce qui n’arrive pas toujours, même quand les jouteurs sont en très petit nombre et qu'ils se connaissent tous parfaitement. »

On peut donc sans témérité faire honneur à nos princes carlovingiens de l'invention des tournois, et laisser une part de gloire assez belle au noble chevalier Geoffroy sire de Preuilly, qui, s'il ne les a pas inventés, a réglementé ces divertissements guerriers.

Le fameux serment de Strasbourg porta ses fruits : il eut pour conséquence l'année suivante (843) le traité de Verdun.



Chapitre XXX : Compiègne la ville de Charles.
Retour à la liste des légendes
Retour à la page d'accueil

Site optimisé pour Firefox, résolution minimum 1024 x 768 px

Flux RSS : pour être au courant des derniers articles édités flux rss