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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE XIV

Supplice du traître Ganes

Après avoir vaqué à ces soins pieux, le grand Charles dominant ses cuisantes douleurs, se remit aux affaires de l'État et voulut achever ses conquêtes en arrachant une province à la domination des musulmans, il entra, dans les marches du Languedoc et assiégea Narbonne, que tenait le roi Balaac Sarrazin

Narbonne valait la peine que Charlemagne déployât ses forces pour l'enlever aux infidèles. Narbonne, du temps des Gaulois, était déjà capitale des Volkes. Elle prit une bien plus grande importance quand une colonie romaine s'y établit, conduite par le consul Quintus Martius. La cité s'agrandit et s'embellit; les préfets et les proconsuls romains y firent leur résidence. Sous les empereurs elle alla toujours en augmentant d'importance et d'éclat. Son école devint célèbre. Antonin, après un terrible incendie, la rebâtit plus magnifiquement. C’était une image de Rome : des théâtres, un forum, une foule de monuments complétaient tellement cette ressemblance avec la capitale du monde, qu'on surnomma Narbonne le miroir de Rome et elle devint, sous Constantin, la capitale de la Narbonnaise. Elle fut une des premières villes des Gaules à embrasser la foi chrétienne. Après avoir subi le joug des Vandales, puis celui des Visigoths, la belle, la grande Narbonne tomba, en 719, au pouvoir de Zama, chef des Sarrasins.

N’était-ce pas une honte pour le monde chrétien de laisser cette superbe cité entre les mains des ennemis de la Foi ?

Charles poussa vivement l'attaque de Narbonne s'en rendit bientôt maître. Le roi Balaac fut fait prisonnier. L'empereur, qui n'avait d'autres vues dans cette expédition que la gloire de la religion, se montra généreux envers le prince maure : il l'admonesta de soy faire baptizer et il luy laiseroit sa terre. En même temps il le fit instruire.par des prêtres savants, des mystères de la foi. Mais Balaac ferma obstinément les yeux à la lumière ; il ne fut touché ni de la bonté du monarque vainqueur, ni de la pure doctrine des prédicateurs, il refusa opiniâtrement de quitter l'erreur et de recevoir le baptême. Alors Charles le fit pendre à un gibet, et tous les Sarrasins furent mis à mort.

Après cette conquête et cette exécution, Charlemagne se mit en route pour Laon.

II

Une autre grave affaire vint l'occuper dans le trajet. L'insistance qu'avait mise Ganes à persuader au roi que Roland n'était point en danger et qu'il ne sonnait si terriblement du cor que pour se divertir, en courant après les bêtes fauves, avait paru suspecte au monarque. Dans tous les cas, la fin tragique du héros était ainsi due, en partie, aux paroles que Ganes avait proférées soit avec intention, soit imprudemment. Charles se disait que s'il ne l'eût pas écouté, il serait peut-être arrivé à temps pour porter secours à son neveu. La fâcheuse impression que lui avait laissée la malencontreuse intervention de Crânes n'eût pas suffi sans doute pour le porter à agir contre ce seigneur; mais il apprit qu'on murmurait, qu'on accusait même hautement Ganes d'avoir tramé la perte de Roland et d'avoir empêché, autant qu'il avait pu, le roi de retourner vers Roncevaux. Charles s'informa, interrogea, et bientôt il ne douta presque plus de la culpabilité du traître.

Ganes fut donc arrêté et on l'amena prisonnier à Laon, où Charlemagne venait d'arriver. Quelques guerriers, il est vrai, étaient prévenus en faveur du coupable et cherchaient à le disculper

C’était surtout Pinabel, le neveu de Ganes, qui défendait vivement son oncle : il jurait que Ganes était innocent, qu'il avait agi très loyalement dans son ambassade auprès des deux rois maures, et qu’il n'était pour rien dans le désastre de Roncevaux. Enfin il l'en voulut excuser par son corps, c'est-à-dire être le champion de Ganes dans un combat singulier avec un des accusateurs. Charlemagne accepta ce jugement de Dieu qui devait prouver ou le crime de Gannelon.

Celui qui se présenta pour combattre contre Pinabel avait vivement à cœur de confondre l'imposture de ces deux traîtres: donc Thierry l'Ardenois (Théderik), coucin de Ogier et de l’archevesque Turpin, qui scavoit comme tout en alloit, poursuyvit la matière et, avec le consentement du roi, il se disposa à ce duel fameux. Si en compatirent en champ de bataille, soubz la dicte cité de Laon. Charles était présent avec toute sa cour, les leudes, les chefs militaires et une grande foule de peuple.

Les deux champions devaient se battre à cheval avec la lance, puis, s'il y avait lieu, à pied à coups de masses d'armes, et enfin avec l'épée. An signal donné par le roi, les deux cavaliers se précipitent ; mais, par permission divine, du premier coup la lance de Thierry s'enfonce dans la poitrine de Pinabel et celui-ci roule sur l'arène répandant son sang à flots. Charlemagne, élevant la voix, adjure le blessé, au nom de Dieu, de confesser la vérité. Pinabel, pressé par ses remords, avoue enfin la trahison de son oncle. Charles aurait peut-être pardonné à Pinabel s'il n'avait été coupable que d'un mensonge dicté par l'affection qu'il portait à son oncle et par le désir de lui sauver la vie ; mais le malheureux avait été traître aussi: et il confessa que non seulement il avait connu les affreuses manœuvres de Ganes, mais qu'il l'avait aidé dans son fatal complot et avait trempé dans le crime. Pinabel fut condamné à mourir de la mort des scélérats : on éleva sur-le-champ un gibet où on l'attacha et où il expira bientôt.

Les attentats du perfide Gannelon étaient prouvés, il ne s'agissait plus que du genre de mort à lui infliger.

Un tribunal, composé de Naymes de Bavière, d'Ogier et des pairs de France, condamna Ganes le félon, le Judas, l'auteur de la mort de Roland et de tant de braves à un supplice en rapport avec ses forfaits: il fat décidé que le traystre et ignominieux et en obprobre de luy et de sa lignée serait écartelé.

La sentence fut exécutée dans le même champ où avait eu lieu le duel, auprès de la cité de Laon. Ganes fut lié par les mains et les pieds à quatre chevaux ardents ; l'un fut poussé vers l'orient, l'autre vers l'occident, un troisième vers le midi, le dernier vers le nord.... Un cri épouvantable sortit de la poitrine du misérable, et chaque coursier emporta un quartier du traître.

III

Charles ayant ainsi infligé aux coupables un juste châtiment, s'empressa alors de récompenser la valeur et la fidélité. Il savait que les souverains doivent être l'image de la Divinité sur la terre. De même que le Tout-Puissant, après avoir puni le coupable, aime à récompenser l'homme vertueux, ainsi le prince gémit s'il est forcé de frapper avec le glaive de la justice, heureux ensuite de répandre ses bienfaits sur ceux qui les méritent.

Narbonne et son territoire, après la défaite des Sarrasins et la mort de l'émir Balaac, était sans maître ; Charles voulut lui donner un seigneur chrétien, fervent et preux sans reproche. Bien des leudes étaient en même temps pieux et braves; mais le noble Emery avait des droits tout particuliers à la munificence du monarque.

Neveu de Girard de Vienne et surtout fils de ce Regnault de Beaulande qui avait tué Aygolant, Émery s'était signalé au siège de Narbonne. C'est lui qui, par son habileté et sa bravoure, avait été la principale cause de la reddition de cette place ; il était juste que sa bannière flottât sur les remparts qu'il avait conquis, personne mieux que lui n'était capable de les garder et de les défendre contre de nouvelles tentatives des mécréants.

Aussi c'est Émery que Charles choisit pour être comte de Narbonne; il lui en donna l'investiture. Émery fut la souche de ces seigneurs de Narbonne si illustres depuis. Il avait épousé Émengarde, fille de Boniface, roi de Pavie, dont il eut sept fils et cinq filles. L'aîné, c'est ce fameux Guillaume au Court Nez(1) qui fut connétable de France. C'est ce héros qui s'empara sur les Sarrasins de la ville d'Orange, de celle du Puy-Provence et de plusieurs autres ; c'est lui qui tua de sa main, devant Paris, le grand géant Isore (2). L'aînée des filles apporta à sa maison une gloire singulière ; elle épousa Louis, le fils de Charlemagne, et devint ainsi reine de France quand le jeune prince monta sur le trône, sous le nom de Louis le Débonnaire.

  1. C'est Guillaume au Court Nez, surnommé aussi Guillaume le Pieux, qui fut chargé par Charlemagne de la tutelle de Louis, d'abord roi d'Aquitaine et depuis Louis le Débonnaire. Il finit par entrer dans un monastère, puis par être abbé du couvent de Gellone, où il se sanctifia. — C'est saint Guilhem (saint Guillaume).
  2. Est-ce la même aventure que celle que nous raconterons bientôt.-, et où mous verrons saint Guilhem tuer le géant Gellone?...


Chapitre XV : Saint Denis apparaît à Charlemagne.
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