Le Cercle Médiéval


La chevalerie au service des lépreux

L'Ordre hospitalier et militaire de Saint-Lazare-de-Jérusalem.

Le Médiéviste
La croix de l'Ordre hospitalier et militaire de Saint-Lazare-de-Jérusalem

C'était un des ordres "où nul frère
du Temple ne peut entrer si ce ne
fut qu'il devint malade" d'après la
règle primitive (chapitre XIII, 429)
des Templier. Quel était cet ordre
des Hospitaliers de Saint-Lazaré ?

Le document le plus ancien qui cite la présence d'une commuauté religieuse soignant les lépreux, hors les murs de Jérusalem, « Commemoratorium de casis dei » (bref mémoire des maisons-dieu de Jérusalem envoyé à Charlemagne). Le siège de cette communauté de moines arméniens régie par la règle de saint Basile et sous le patronage de saint Lazare, est celui cité pour l'ordre de Saint-Lazare au XIIe siècle dans le « Domus leprosorum itinera hierosolomytana descriptionis terrae sanctae ». La transformation de cette communauté monastique en ordre religieux militaire et hospitalier se fit lors des croisades par osmose entre la vocation hospitalière des moines soignants et celle, mili­taire, des chevaliers lépreux soignés.

Résurection de Saint-Lazare

Résurection de Saint-Lazare

Des Hospitaliers à l'action militaire confirmée

Après la victoire de Jérusalem par les croisés en 1099, les chevaliers lépreux des ordres de Saint-Jean, du Temple et du Saint-Sépulcre, et d'autres victimes de semblables maladies effroyables, furent placés à Saint-Lazare où l'ordre purement hospitalier, et adminis­tré par Gérard Tenque, était condamné à la solitude perpétuelle. Puisque les hôpitaux exigeaient la protection contre les infidèles, aussi bien brigands que maraudeurs, les guerriers malades de Saint-Lazare convertirent inévitablement l'ordre aussi bien en une milice chevaleresque qu'en une fraternité.

Étant considéré comme l'une des plus anciennes et la plus pro­fondément respectées des confraternités de la chevalerie dans la chrétienté, l'ordre militaire et hospitalier de Saint-Lazare-de-Jérusalem renforce sa présence à l'hôpital de Saint-Lazare après la pre­mière croisade. En tant que leprosarium (léproserie), l'hôpital était placé à l'extérieur des murs de Jérusalem — près de la maison légendaire de saint Lazare, qui avait été longtemps entretenue par une ancienne fraternité hospitalière, selon la tradition fondée par saint Basile le Grand au IVe siècle, comme il est précisé plus haut. L'ordre de Saint-Lazare était la seule organisation chevaleresque se souciant des besoins des lépreux, des exilés qui erraient dans le Proche-Orient et l'Europe pendant le Moyen Âge. Connus comme « lazaristes » ou «lazarites», les membres de l'ordre spécialisés prenaient soin des lépreux et secouraient aussi ceux qui étaient affligés par d'autres maladies contagieuses. Pour protéger ces vic­times malades des mauvais traitements et défendre leurs hospices de lépreux contre les infidèles, l'ordre a assumé un rôle militaire. L'ordre fut très estimé par les rois chrétiens de Jérusalem et par tous ceux qui connaissaient leur travail de charité et protection. Baudouin IV, dit le Roi lépreux de Jérusalem, fut particulièrement généreux envers l'ordre, mais les donations de terre et d'espèces sont aussi le fait d'hommes et de femmes de tous rangs. Comme la réputation militaire des chevaliers lépreux était éminente, ils acquièrent la responsabilité de la défense des châteaux de Zeitha el-Kharbet et Djemeriah el-Madjel. Mais les chevaliers de l'ordre se ralliaient à la cause de la sainte Croix partout où se battaient les chrétiens contre les infidèles. Ils se considérèrent comme des « morts vivants », des « hommes qui marchaient seuls »; mourir pour la défense de la foi ne leur faisait pas peur.

L'ordre fut tellement renommé ainsi que son activité humanitaire, qu'après la chute de Jérusalem le 2 octobre 1187, Saladin le Grand prit l'hôpital de l'ordre sous sa propre protection. Le conquérant musulman autorisa les pauvres de la ville qui ne pouvaient pas payer la rançon et quitter les murs de Jérusalem par la porte de Saint-Ladre, à trouver refuge à l'hôpital de l'ordre.

Vers 1189, les monarchies catholiques d'Europe occidentale amor­cèrent la troisième croisade pour reconquérir la ville sainte ; les chrétiens concentrèrent leurs efforts sur le siège d'Acre. Saladin tenta vainement de dégager la ville et Acre succomba finalement en 1191. Les croisés ne surent pas profiter de leur victoire pour reprendre Jérusalem. En 1192, Saladin signa un traité de paix avec Richard Ier Cœur de Lion, roi d'Angleterre, ce qui permit aux chré­tiens de reprendre possession de toute la côte de Jaffa à Tyr, en laissant Jérusalem aux musulmans.

Pendant cette trêve, l'ordre de Saint-Lazare transféra ses activités de Jérusalem à Saint-Jean-d'Acre pour préparer l'ultime défense de la Terre sainte. Établi dans la ville côtière, autrefois connue sous le nom de Ptolémaïs, l'ordre garantit des droits souverains sur une partie de la ville, à l'extérieur de ses murs. Ses membres cons­truisirent un hospice fortifié et une église dédiée à saint Lazare, nommée l'église des Chevaliers-de-Saint-Lazare. On leur accorda aussi la Tour et l'église de Saint-Lazare près de Césarée. Le pape et d'autres dirigeants temporels reconnurent l'ordre de Saint-Lazare comme un pouvoir souverain. Avec le retour de la guerre entre les chrétiens et les musulmans, l'ordre gagna des lauriers supplémentaires, mais à un triste prix. Après avoir subi de lourdes pertes dans plusieurs combats, la plupart des chevaliers lépreux de l'ordre furent tués à la bataille de Gaza en .1244. Ceux qui ne furent pas présents à cette infortu­née bataille rejoignirent les croisés restés pour se battre avec un ultime espoir. Ils avaient accompagné le roi de France, Saint-Louis, dans sa croisade égyptienne et participé à ses expéditions contre la Syrie durant les années 1250 à 1254. Lorsque la ville de Saint-Jean-d'Acre fut finalement tombée aux mahométans, en 1291, après un long siège, l'ordre cessa d'exister en Terre sainte.

Une des nombreuses particularités de l'Ordre de Saint-Lazare

Les chevaliers de Saint-Lazare se maintinrent dans les bornes de leur première institution. Celle-ci était régie par la règle de saint Augustin comme l'ordre religieux militaire et hospitalier de Saint-Jean (plus tard de Malte). L'adoption de cette règle, dans le cadre de la constitution du royaume latin de Jérusalem, est clairement une volonté de l'Église d'harmoniser les institutions religieuses de Terre sainte. Elle sera confirmée, pour l'ordre de Saint-Lazare, en avril 1255 par une bulle du pape Alexandre IV et sera pratiquée jusqu'à la fin du XVIe siècle (la retranscription la plus ancienne de la règle de l'ordre date du début du XIVe siècle et a été découverte puis conservée à l'abbaye bénédictine de Seedorf, ancienne commanderie suisse).

Comme dans tous les ordres religieux, les trois voeux prononcés étaient ceux de pauvreté, d'obéissance (aux supérieurs réguliè­rement élus et confirmés par l'ordinaire du lieu - évêque ou le Pape) et de chasteté. Concernant ce dernier vœu, la règle de saint Augustin semble avoir permis des dérogations qui permettaient à certains chevaliers mariés d'entrer dans l'ordre. Dans ce cas le vœu de chasteté était remplacé par celui de chasteté conjugale (le fait de respecter l'enseignement de l'Église en matière de sexualité). Il faut attendre le XIVe siècle pour voir apparaître quelques cheva­liers mariés.

Le soin des lépreuses ne pouvant être effectué par les hommes, selon les critères moraux de l'époque, de petites communautés de sœurs de Saint-Lazare furent associés aux différentes commanderies ou léproseries de 'ordre (ce fut le cas notamment pour la commanderie de Seedorf ou celle de Beaugency dans le Loiret). Ces religieuses vivaient à part et ne participaient qu'à la vocation hospitalière de l'ordre et aux grands offices religieux.

Un ordre sous la protection de la maison royale

Après la chute d'Acre et l'expulsion de tous les chrétiens de la Terre sainte, l'ordre déplaça son quartier général en France, sous la protection de la maison royale (cette protection fut accordée par le roi Philippe IV le Bel, à Poitiers, en juillet 1308). Mais avant la perte de leur dernière forteresse dans le royaume latin, un groupe de chevaliers de l'ordre s'était établi en Europe. Sur ce continent, l'ordre étendit progressivement son influence en établissant de nombreux hôpitaux de lépreux (connus comme « lazar-cotes » ou lazarettes), manoirs, preceptories (ou commanderies) en France, Espagne, Italie, Angleterre, Écosse, Allemagne, Hongrie et Suisse. Les plus célèbres d'entre eux étaient les preceptories de Boigny accordées à l'ordre par le roi de France Louis VII, et de Capoue en Italie.

Pendant cette période du Moyen Âge, l'ordre de Saint-Lazare accomplit aussi une double mission. En tant que puissance mili­taire, il fonctionna avec une flottille de vaisseaux de guerre en Méditerranée pour protéger les importantes routes maritimes contre les pirates et maraudeurs. En même temps, les Hospitaliers de Saint-Lazare protégèrent et traitèrent les victimes du fléau le plus redouté d'Europe.

La séparation de l'ordre de Saint-Lazare à partir du XVe siècle

Jérusalem

Vieux quartiers de Jérusalem

En 1489, le pape Innocent VIII essaya de fusionner plusieurs ordres, y compris ceux de Saint-Lazare, du Saint-Sépulcre et d'autres, dont l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, plus connu sous le nom de l'ordre de Malte. La bulle papale ne fut pas mise en application car les liens d'intérêt de ces ordres avec les différentes monarchies, sur les territoires desquelles ils étaient implantés, étaient trop impor­tants. Cependant, une séparation de sa partie italienne divisa l'ordre en deux branches, l'une sous l'autorité de la maison magistrale de Boigny et l'autre sous l'autorité du prieuré à Capoue.

Le prieuré de Capoue avait été fondé en 1211, et le pape Léon X, de son vrai nom Jean de Médicis, lui accorda des privilèges extraordinaires. À partir de 1517, le supérieur de cette branche fut appelé « grand maître de l'ordre dans le royaume de la Sicile et ailleurs ». En 1572, le pape Grégoire XIII unit cette branche à per­pétuité à la maison de Savoie. Cette Bulle a spécifiquement exclu les biens de l'Ordre en Espagne qui restèrent sous le contrôle de la Couronne espagnole. Le dixième duc régnant de Savoie, Emmanuel-Philibert III, unit le prieuré de Capoue avec son ordre de Saint-Maurice récemment fondé et prit à cette occasion le titre de « grand maître de l'ordre de Saint-Maurice et Saint-Lazare »..la Maison Ducale de Savoie est à l'origine de la Maison Royale d'Ita­lie. Cet ordre fut conféré par le roi de Sardaigne Victor-Emmanuel Ier, et de nouveaux statuts furent publiés le 27 décembre 1816, faisant de cette institution une compagnie d'honneur et mettant l'organisation en harmonie avec les idées nouvelles : récompenser tous les mérites et être accessible à toutes les conditions sociales. Quant à la branche de la maison cheftaine à Boigny en France, cette juridiction fut fondée en 1154 par un don du roi Louis VII aux premiers chevaliers de l'ordre revenus de Terre sainte. Après la chute finale de Saint-Jean-d'Acre, ses commandeurs furent reconnus comme les « grands maîtres de l'ordre de Saint-Lazaret-de-Jérusalem, sur et au-delà des Mers ». Le caractère souverain de l'ordre fut reconnu par les rois de France, et sous leur protection, l'ordre a continué d'exercer ses fonctions souveraines.

En 1578, après la promulgation de la bulle papale de 1572, men­tionnée ci-dessus, le Florentin François Salviati, commandeur de Boigny et grand-maître de l'Ordre, s'appuyant sur la protection temporel du roi de France, considéra que les décisions du pape Grégoire XIII, dans la capitulation du prieuré de Capoue et le trans­fert des biens de l'ordre en Italie à la maison de Savoie, n'affecte­raient pas la commanderie et l'ordre de Boigny. Cette décision fut confirmée par le roi de France, Henry IV, le 7 septembre 1604, quand il se déclara par lettres patentes être le souverain protec­teur de l'ordre.

D'autres branches importantes se rattachèrent au tronc de l'Ordre. En Angleterre, le maître de l'Hôpital de Burton Lazars, fondé en 1135, était vicaire général de la Grande Magistrature de Boigny pour l'Angleterre. Les chevaliers espagnols de l'ordre dépendirent aussi de la juridiction de la Grande Magistrature de Boigny. Le commandeur du célèbre couvent de Seedorf, fondé en Suisse en 1134, portait le titre de maître de Saint-Lazare. En Allemagne, le commandeur de l'Hôpital de Sainte-Magdeleine de Gotha était le commandant provincial ; le commandeur de Strigonia en Hongrie était vicaire général de la Grande Magistrature de Boigny pour la Hongrie. Sur ces modèles, il est probable que les branches principales européennes de l'ordre aient été groupées autour du Grand Magistère de Boigny. Ainsi Boigny a assuré la perpétuation de l'existence souveraine de l'ordre.

L'emblème de l'ordre: pourquoi une croix de sinople (ou verte) ?

En Palestine et pendant les deux premiers siècles qui suivirent leur retour en Occident, les membres de l'ordre de Saint-Lazare ne por­tèrent qu'une simple croix d'étoffe verte comme signe particulier ; elle était cousue sur leur robe ou cotte d'armes à la hauteur de la poitrine ainsi que sur le côté gauche de leur manteau.

C'est sans doute au début du XIIe sièce que les Hospitaliers de Saint-Lazare choisirent cet emblème pour se différencier des autres ordres : croix rouge pour les moines guerriers du Temple, blanche chez les Hospitaliers de Saint-Jean, noire chez les Teu-toniques. « La couleur verte correspond au premier abord, à la vertu théologale de l'Espérance tandis que le blanc correspond à la Foi et le rouge à la Charité. Dans cette perspective, on conçoit que le vert ait été attribué aux malades atteints de la lèpre, jugés incurables au Moyen Âge, ayant pour seul remède la force de l'Espérance, représentée par son prototype humain, Lazare mira­culeusement ressuscité par le Christ comme signe et gage de sa propre Résurrection (« Lazare, veni foras »), anticipation du second Avènement, des deux nouveaux et de la Terre nouvelle promis dans l'Apocalypse de Saint Jean à l'Homme du Huitième Jour. »

Au Moyen Âge, les médecins, selon la même orientation symbo­lique, portaient une toge verte avec une autre connotation reliée au règne végétal, la médecine étant alors basée sur l'utilisation des simples (plantes) donc sur des vertus thérapeutiques. Un reste de symbolisme subsiste dans la couleur (verte) de la croix des pharmaciens, héritiers directs des anciens apothicaires.

Dans un autre esprit, le choix du vert, couleur de Mahomet, est une sorte de défi lancé aux musulmans. Les membres de l'ordre acceptent cette tradition qui fait de la couleur de leur croix une prise de guerre à l'instar d'un drapeau arraché à l'ennemi. En 1314, Siegfried de Flatte, commandeur de Seedorf, rédigea une règle prescrivant aux chevaliers de Saint-Lazare de porter «sur le devant de leur habit une croix verte carrée ainsi que sur le côté gauche de leur manteau et sur les pièces de leur harnois de guerre».

Parmi les monuments de la chapelle de la commanderie de Boi­gny, si fâcheusement détruite à la fin du XVIIe siècle, figuraient plusieurs tombeaux des maîtres de l'ordre, notamment ceux de Thomas de Sainville (1320) et de Jehan de Paris (1349), personna­ges qui portaient la croix carrée cousue sur le manteau.




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