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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Le Huchier au Moyen-âge

Fabrication des meubles

Par
Eugène Viollet-le-Duc

Eugène Viollet-le-Duc

Fabrication des meubles

Les huchiers, au XIIIe siècle, fabriquaient des portes, des fenêtres, des volets, des coffres, bahuts, armoires, bancs. Cet art équivalait à celui de menuisier. Défense leur était faite de prendre des ouvriers tâcherons. Ils étaient compris dans la classe des charpentiers, c'est qu'en effet les meubles, à cette époque, aussi bien que la menuiserie, étaient taillés et assemblés comme de la charpenterie fine. Les bois étaient toujours employés de fil, assemblés à tenons et mortaises, chevillés en bois ou en fer. Les collages n'étaient employés que pour les panneaux, les applications de marqueterie, de peaux ou de toiles peintes ; quant aux moulures et à la sculpture, elles étaient taillées en plein bois, et non point appliquées.

Pour éviter les longueurs et rendre nos descriptions des moyens de fabrication plus vives et plus claires, nous nous supposons introduits dans un atelier de menuiserie en meubles, d'un huchier, vers la fin du XIIIe siècle, et nous rendons compte du travail des ouvriers.

Banc à barre, servant de coffre et ces charnières.

Fig. 1 et 2

Jacques le huchier nous fit voir d'abord, derrière son atelier, une assez grande pièce remplie de bois de chêne refendu, disposé là pour sécher, en nous faisant observer qu'il n'emploie que du merrain emmagasiné depuis plusieurs années, en ayant le soin de remplacer le vieux par du neuf, afin de conserver toujours la même provision. De ces bois, les uns sont carrés comme du chevron plus ou moins gros, les autres sont refendus en planches d'un à deux pouces d'épaisseur pour les encadrements et panneaux.

Quand il a quelque ouvrage de choix à exécuter, Jacques nous dit qu'il soumet les panneaux à l'action de la fumée pendant plusieurs semaines, en les suspendant au-dessus de l'âtre de la cheminée. Jacques n'a et ne peut avoir qu'un apprenti ; son fils et son neveu complètent l'atelier. Ils sont donc trois ouvriers ; lui, Jacques, ordonne, s'occupe de ses bois dont il a grand soin, va chez les seigneurs ou les bourgeois pour prendre les commandes, et travaille aussi de ses mains ; c'est un habile homme. Il nous montra un banc à barre, servant de coffre (fig. 1), et dont toutes les pièces, terminées, étaient prêtes à être assemblées. « Vous voyez, nous dit Jacques, les quatre montants principaux, ceux du dossier A plus élevés que ceux du devant B pour recevoir la barre C. Je fais toujours mes assemblages de barres à doubles tenons D avec embrèvement, car j'ai remarqué que ces barres sont sujettes à se désassembler ; je les renforce à l'assemblage, cela perd un peu de bois, mais les personnes à qui je les fournis ne me les renvoient jamais pour être réparés. On s'appuie sur ces barres ; les valets peu soigneux tirent dessus pour reculer ou avancer les bancs, et si elles ne sont pas solidement assemblées et chevillées, elles ont bientôt quitté les montants. Deux tenons valent mieux qu'un, car ils sont tous deux serrés par les doubles mortaises. Vous voyez aussi que je donne de la force à mes bois là où je suis obligé de pratiquer des mortaises, puisque celles-ci affaiblissent les pièces. Maintenant, nos seigneurs ne veulent plus de ces meubles massifs comme ceux que l'on faisait autrefois ; ils veulent être commodément assis, se plaignent quand ils trouvent sous leur main des arêtes vives.

Il faut nous soumettre à ces exigences, et, sans nuire à la solidité, je diminue autant que je puis la force du bois entre les assemblages, soit par des adoucis, des chanfreins ou quelques colonnettes. Remarquez cet appui E, comme il permet de poser le bras sans fatigue, et comme je l'assemble par de bons doubles tenons pour réunir le grand montant A au petit B. Devant mon banc, j'ai une suite de panneaux F serrés entre deux traverses et des montants. J'en fais autant par derrière ; puis, sur les côtés, j'ai des joues H qui portent les tasseaux I recevant le couvercle K qui sert de siège. Le bord des joues L affleure la tablette à charnières. Ces charnières (fig. 2) sont forgées avec soin ; on les pose avec des clous rivés sur le coffre, et les bords du fer sont fraisés pour ne point accrocher les habits des personnes qui s'asseoient. C'est une précaution assez inutile, car personne ne s'assied sur un banc sans coussins. J'ai vu un temps, qui n'est pas très-éloigné, où les couvercles des bancs servant de coffres étaient ferrés avec des pentures saillantes sur le dessus du couvercle ; mais on ne veut plus de ces lourdes ferrures sur les meubles ; déjà on nous demande de les dissimuler autant que possible, et on arrivera à nous demander de les supprimer entièrement. — Vous regardez ces sculptures qui décorent les montants et la barre. C'est mon neveu qui les exécute, et j'espère en faire un imagier ; d'ici à quelque temps il entrera en apprentissage chez l'imagier Belot, l'un des meilleurs de Paris et que je vous engage à visiter.

Tous les jours on nous demande de la sculpture sur les meubles, et on ne veut plus entendre parler de ces incrustations d'ivoire, d'étain, de cuivre ou d'argent que l'on aimait beaucoup jadis. Cependant les seigneurs et les bourgeois riches qui exigent de la sculpture sur les bois des meubles les plus ordinaires n'y mettent pas un prix raisonnable, et nous sommes obligés ou de travailler pour rien, ou de nous contenter d'une exécution grossière. Puis les imagiers prétendent que nous empiétons sur leurs privilèges, et si nous avons recours à eux, ils se font si bien payer, qu'il ne nous reste pas de quoi payer le bois. » Jacques nous fit voir alors dans un coin de son atelier une assez grande armoire prête à être livrée. Sur notre observation que ce meuble paraissait être de forme ancienne, bien qu'il fût neuf, Jacques nous dit qu'il était destiné à l'abbaye de ***, qu'il devait renfermer des reliquaires et vases sacrés, que l'abbé avait exigé que ce meuble fût couvert de peintures et dorures afin de s'accorder avec l'ancien mobilier du sacraire, exécuté il y a plus d'un siècle. « J'ai eu grand'peine, continua le huchier, à faire cette armoire, on ne veut plus de ces meubles dont la fabrication exige beaucoup de temps et de soin ; aujourd'hui on est pressé, et personne ne consent à attendre un meuble pendant un an, car il n'a pas fallu moins de temps pour terminer celui-ci ; encore, les peintures ne sont-elles pas achevées ; le peintre imagier de l'abbé a plus d'ouvrage qu'il n'en peut faire.

Voyez comme ces faces de volets sont unies ; on croirait voir du marbre poli. Mon grand-père a fait beaucoup de ces meubles peints et dorés pour les églises et les appartements des seigneurs, et c'est à lui que je dois de savoir les fabriquer. Les volets sont composés d'ais parfaitement secs, collés ensemble sur leur rive avec de la colle de fromage ; il faut beaucoup de peine et de soin pour la bien assembler . Ces ais tiennent ainsi entre eux, sans grains-d'orge, par la seule force de la colle ; car les grains-d'orge ont l'inconvénient de paraître toujours à la surface du panneau et les font fendre le long des joints. Quand tous les ais d'un panneau sont bien collés et secs, il faut racler sa surface avec un fer tranchant, mais peu à peu ; autrement on éraille le fil du bois, et on n'obtient pas une surface unie. Après cela, on tend sur les panneaux une peau de cheval, d'âne ou de vache, non encore tannée, mais bien macérée et dépouillée de son poil ; la peau est collée au panneau avec cette même colle de fromage. Ceci fait, il faut laisser sécher doucement, sous presse, et ne point se hâter de toucher aux panneaux, car si la peau n'est pas parfaitement desséchée, elle fait coffiner les panneaux.

En été, il faut compter un mois au moins pour que ces apprêts soient secs et en état d'être employés. Alors, dans un lieu frais mais non humide, on passe, sur la peau ainsi tendue sur les ais, trois couches de plâtre bien broyé, que l'on fait chauffer dans de l'eau avec de la colle de peau ; entre chaque couche, il faut laisser s'écouler un temps assez long pour que le plâtre sèche parfaitement. Après quoi, on racle doucement la surface et on la dresse avec un fer plat et tranchant ; ce travail exige une main exercée, car si l'ouvrier appuie sur un point plus que sur un autre, il se produit des bosses et des dépressions ; il faut recommencer l'opération ; encore ne réussit-elle jamais comme la première fois. Les couches de plâtre applanies au fer, il faut les polir avec de la prêle jusqu'à ce que la surface devienne brillante comme du marbre. Ceci terminé, on passe sur le plâtre une première couche de peinture bien broyée avec de l'huile de lin, puis une seconde. C'est sur ce fond que l'imagier trace et peint les figures ou les ornements, qu'il applique les feuilles d'or ou d'argent, au moyen d'une colle faite de clair de blanc d'œuf battu sans eau ; s'il veut brunir l'or ainsi appliqué et lui donner un certain relief, ce qui est fort plaisant aux yeux, il superpose jusqu'à trois feuilles d'or battu, en ayant le soin de coller chacune d'elles ; puis, quand l'ouvrage est bien ferme, mais non encore complètement desséché, il brunit doucement l'or ou l'argent avec une pierre d'agate polie et arrondie en forme de dent de loup. Il rehausse sa peinture et cerne la dorure par un trait de couleur brune détrempée dans un vernis composé d'huile de lin et de gomme laque que l'on a fait cuire à un feu doux. S'il veut donner du brillant à la peinture, il passe sur toute sa surface une couche de ce même vernis fait avec le plus grand soin dans un pot neuf et bien propre. Quant aux parties sculptées du meuble sur lesquelles on ne peut tendre de la peau, on se contente de passer les couches de plâtre sur le bois, puis on répare avec de petits outils de fer et on polit avec de la prêle, comme je viens de le dire tout à l'heure. Ces meubles sont fort beaux, très-riches, brillants et propres ; ils décorent mieux les salles et les chambres que nos meubles de bois sculpté, souvent grossièrement peints ; mais cela est passé de mode aujourd'hui, et on n'emploie plus guère ce genre de fabrication que chez les écriniers, pour les litières, pour les selles de chevaux, les écus et quelques petits coffres de voyage. »

Jacques nous fit voir ensuite une huche d'une dimension énorme, telle qu'un âne eût pu y être enfermé. Sur ce que nous étions ébahis de voir pareille huche, Jacques nous dit : « Vous vous émerveillez, messieurs, mais on nous demande aujourd'hui des huches de cette taille ; nos seigneurs et même nos bourgeois et bourgeoises ne trouvent jamais les huches assez grandes pour serrer leurs besognes. Levez le couvercle, et vous trouverez en dedans plusieurs coffres faits pour la place. Si la huche est bien travaillée, les coffres le sont mieux encore. Vous allez me demander comment on peut sortir ces coffres ? Or remarquez que le devant de la huche est divisé en deux ventaux, retenus par une feuillure, un loqueteau et le moraillon attaché au couvercle ; ouvrant les ventaux, vous tirez les coffres à votre plaisir.

une huche

PL. XVIII

Il y a dans cette huche (PL. XVIII) quatre malles ; la tablette qui supporte les deux malles supérieures permet de tirer celles du dessous. — Mais pourquoi enfermer des coffres dans une huche ? — Ah ! voici pourquoi, continua Jacques : quand on part en campagne, on emporte un, deux, trois ou quatre coffres avec soi, suivant le besoin ; dans l'un doit être enfermé du linge, dans le second des habits, dans le troisième des armes, dans le dernier de la vaisselle ; celui-ci est encore, à l'intérieur, divisé en trois petites caisses séparées et fermées chacune ; dans l'une est de l'argenterie, dans l'autre des bijoux et dans la troisième des épices et des dragées. On peut ainsi charger chacune de ces caisses sur des bêtes de somme, ou les placer facilement dans des chariots ; on les enveloppe alors dans des peaux munies de boucles et courroies qui servent à les attacher. Si l'on part avec ses caisses, on ôte la tablette intérieure, qui est mobile, et on enferme dans la huche des courtines, des fourrures, des tapis, des draps, que l'on ne veut point laisser à la poussière ou qui pourraient être gâtés par les insectes et les rats. Les petits bourgeois et les paysans ont aussi de ces grandes huches grossières : quand ils sont à la maison, ils y mettent la farine et y font le pain ; quand ils quittent le logis, ils y enferment leurs ustensiles de ménage et les habits qu'ils ne veulent pas emporter avec eux. Dans tous les ménages grands ou petits, vous verrez au moins une huche.

Nous en faisons toujours, et jamais nous n'en avons de reste ; souvent même on vient nous en demander à louer pour porter les morts au cimetière, et quoique ce profit nous soit interdit, il est des moments de mortalité où le prévôt est obligé de fermer les yeux, car bien de pauvres gens ne peuvent payer une bière, et on fait semblant de croire qu'ils ont pris leur huche pour ensevelir leur parent, tandis que la même huche sert à une douzaine d'enterrements en quelques jours. Mais tirons un des coffres de la grande huche que vous voyez. Chacun des côtés de ces coffres est garni de charnières bien ferrées qui permettent d'abattre le devant, les côtés, le couvercle et le derrière. On voit ainsi d'un coup d'œil tout ce qu'on a rangé dans son coffre. Vous remarquez que chaque abattant est maintenu par de petits prisonniers sur ses rives, qui forment autant de tenons quand tout est fermé au moyen de la vertevelle. Ces coffres sont munis de poignées sur le devant pour les tirer et sur les côtés pour les soulever et les transporter (fig. 3).

poignées de coffre sur le devant pour les tirer et sur les côtés pour les soulever et les transporter

Fig. 3

Aujourd'hui, il est rare que nous soyons chargés de fabriquer les coffres intérieurs ; ce sont ordinairement les écriniers qui se mêlent de cette besogne, car ils font, pour les voyages, des malles en bois très-légères, recouvertes de cuir gaufré, et qui sont extrêmement solides ; on préfère ces écrins à nos coffres de menuiserie, car ceux-ci sont lourds.

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