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Les légendes d'Ourthe-Amblève - Frédéric Kiesel

Saint Remacle

De Cugnon jusqu'aux Hautes-Fagnes, le souvenir reste vivace de saint Remacle, moine venu d'Aquitaine, qui évangélisa l'Ardenne dans les années 600. Ce qui subsiste des anciennes abbayes de Stavelot et Malmedy est, on s'en doute, bien plus imposant que le modeste oratoire que l'évangélisateur construisit avec ses compagnons au bord de l'Amblève. Ce premier monastère ne devait pas être tellement plus grand que la grotte du bord de la Semois honorée comme ayant abrité à Cugnon les travaux et les prières de l'évangélisateur.

Toutefois, ce ne fut pas une mince affaire que d'édifier avec des outils rudimentaires l'humble couvent de Stavelot, en plein cœur de l'Ardenne sauvage de l'époque, presque sans chemins.

Pour transporter les pierres jusqu'à son chantier, Remacle utilisait un âne comme il en subsiste encore l'un ou l'autre dans la région. L'animal était endurant, tenace et docile malgré la mauvaise réputation qui est faite à ses semblables. C'était un peu grâce à lui que le petit cloître sortait de terre. Et le diable ne s'y trompait pas, qui voyait les Ardennais de la vallée quitter, famille par famille, les obscurs cultes païens pour suivre la croix de bois de Remacle l'Aquitain.

- Il faut que je l'empêche d'achever sa construction, se dit le Malin.
Pour ne pas être reconnu, il prit la forme d'un loup, s'embusqua dans une touffe de genêt, assaillit l'âne et le dévora, n'en laissant subsister que les os, la crinière, la queue et les deux paniers pleins de pierres qui, reliés par de fortes cordes de chanvre, pesaient sur ses flancs.
Saint Remacle survint comme le loup achevait son coupable festin. La bête était-elle alourdie par un excès de chair fraîche ou un tantinet coriace? Ou bien était-elle fascinée par le saint homme, qui comme Orphée et saint François d'Assise, savait parler à nos frères inférieurs?
Le moine montra à peine sa colère. Il dit simplement au démon:
- Je sais que c'est toi, Belzébuth, qui as pris la forme de ce loup pour me priver de l'âne qui nous était si utile. Pour ta punition, tu vas le remplacer, et tu porteras à sa place les paniers que voici.

La bête se laissa faire. Elle aida Remacle et ses compagnons jusqu'à ce que le couvent fût achevé. Le loup, devenu vieux, finit-il chien de garde, ou s'évanouit-il en fumée de soufre, touché par une goutte d'eau bénite lors de la bénédiction du petit monastère?
L'histoire ne le dit pas. Mais le loup diabolique dompté par saint Remacle demeure présent à Stavelot. Il figure avec son panier de pierres (un seul, car on le voit de profil) sur les armoiries de la petite ville, en dessous d'une effigie du saint. Et, sur la place du Marché, le gracieux perron, emblème des libertés, est porté non par quatre lions, comme ailleurs, mais par quatre loups de pierre dont les museaux pointus rêvent, justement, de liberté...
Le démon qui avait tenté d'empêcher la construction du cloître de saint Remacle était un diable ardennais, tenace, point vite résigné. Ayant appris que le couvent était achevé, il résolut de le détruire. Il prit sur son dos un énorme rocher, assez grand pour écraser monastère et moines, et il se mit en route par monts et par vaux.
À Stavelot, Remacle fut averti en songe du péril. Sans tarder, il partit à la rencontre du Malin en portant, Dieu sait pourquoi, un sac contenant toutes les sandales et chaussures usées de ses moines et des voisins.

Il faisait chaud, et malgré sa force surhumaine, décuplée par une sombre rage, Satan était bien fatigué quand il rencontra Remacle, qui, par prudence, s'était déguisé en bûcheron. Il était temps, car on était presque en vue de Stavelot. Si le prince des ténèbres avait fait encore quelques centaines de mètres, il aurait pu écraser le monastère.
- Eh, mon brave, dit-il au bûcheron, suis-je encore loin de Stavelot?

- Mon pauvre Monsieur, répondit le saint déguisé, j'en viens. Et voici toutes les chaussures que j'ai usées en chemin.
Et il vida son sac.
Découragé, le démon lança un blasphème à fendre le ciel et il laissa tomber sa pierre dans un ravin proche. Elle s'y trouve toujours, non loin du bois de la Borzeux, au bord du chemin qui mène d'Exbomont à Stavelot, à un endroit où seul un petit bois dérobe à la vue la villette de Stavelot.
Le rocher se nomme le Faix (la charge, le fardeau) du diable.

Le Faix du diable près de Stavelot

Le Faix du diable. Situation : au sud et à 6 km de Stavelot, passer l'église et le château de Wanne. Le faix du Diable est à gauche sur la route de Logbiermé, dans un bois sur la droite.

Dans les siècles qui suivirent, le démon trouva des moyens plus subtils pour troubler la vie du monastère. C'est ainsi qu'il y faisait souffler un vent de folie au moment du carnaval. Au XVIIIe siècle, plusieurs moines avaient pris l'habitude de «faire le mur» pour participer aux réjouissances du Laetare. De connivence avec eux, et pour qu'on ne les repère pas, de jeunes Stavelotains prirent l'habitude de se vêtir, pour la mi-carême, d'une longue robe blanche à capuchon. Et ils complétaient leur déguisement par un masque bouffon de vive couleur, au long nez. C'est ainsi que les Blancs Moussis seraient, si l'on veut, d'origine diabolique.




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