Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Légendes de Gaumes et Semois - Frédéric Kiesel

Vermine, crapauds et les vertus de la politesse

Marie M. avait le pouvoir d'envoyer de la vermine à qui elle voulait du mal. Comme une fille de ses victimes préférées, les Deg. lavait le linge en prévision des fêtes de Pâques. Elle lui dit:
- Ah, tu laves tes colifichets! Tu en auras de belles Pâques: des frisons et de doubles frisons (prononcés comme «frizons» au lieu de «frissons»).

La pauvre famille ne dut pas attendre longtemps avant d'être envahie par des poux, puces, fourmis, perce-oreilles et autres insectes indésirables. Elle ne parvint à s'en débarrasser qu'après une année.

Ce répugnant maléfice était signalé en maint endroit: à Rochehaut, la grande et effrontée Marie-Joséphine aimait envoyer des poux. Sournoise, elle allait, pour cela près des malades sous prétexte d'aider à les soigner. Jalouse de la belle épouse L., «toujours très soigneuse de sa personne», elle alla la voir au moment où celle-ci se préparait à aller à la grand-messe. Aussitôt Mme L. sentit des démangeaisons telles que, se voyant couverte de poux, elle dut manquer l'office et même, l'après-midi, les vêpres. Au sortir de celles-ci, elle alla attendre la Marie-Joséphine. L'injuriant devant les fidèles, afin que nul n'ignore ses méfaits, elle la menaça d'un air si décidé que la sorcière dut lever le mauvais sort.

À Rochehaut encore, le fils du tailleur François A. racontait que son père, ayant eu une querelle avec la même Marie-Joséphine à propos d'un terrain, cette sorcière lui envoya un sort analogue. Il s'en aperçut en allant travailler à son atelier à Liresse. Vu son métier, il n'osait pas se gratter devant les clients. À midi étant allé au bois pour inspecter sa chemise, il la trouva grouillant de poux. Il en parla à sa femme. N'ayant pas froid aux yeux, et redoutable batailleuse à l'occasion, celle-ci alla trouver la Marie-Joséphine, et lui dit poliment - car en la circonstance il faut employer un langage poli et ambigu: - Je voudrais bien que vous reprissiez (admirez l'élégant subjonctif) la commission de François.

Comme la sorcière faisait mine de ne pas savoir de quelle «commission» il s'agissait, l'énergique épouse lui dit:
- Vous savez très bien de quoi je parle. Si vous ne m'obéissez pas à l'instant vous aurez affaire, non pas à François, mais à moi.

Pour ne pas passer un mauvais quart d'heure, la Marie-Joséphine leva le sort à l'instant et François, le tailleur, fut, sur-le-champ, délivré de sa vermine.
Mendiant, le mari de la sorcière de Rochehaut, assis sur une borne, sa hotte sur le dos, pratiquait, en invoquant la religion, le chantage à l'aumône:
- Que le bon Dieu vous bénisse! avait-il le culot de dire en tendant la main.

Comme Clémence D., de Frahan, ne lui avait rien donné, toute sa maison, de la cuisine aux lits fut envahie par une multitude de poux. Cela durait depuis une semaine quand l'hypocrite vint dire bonjour aux D. Ceux-ci, qui avaient compris, lui donnèrent une pièce en lui disant - toujours de façon courtoise et voilée:
- Vous voudrez bien reprendre ce que vous nous avez envoyé.

Ici aussi on constate que, en la circonstance, deux techniques sont efficaces selon les cas: la menace brutale ou la comédie de la politesse. Mais de toute façon, les intéressés préfèrent souvent ne pas désigner clairement le maléfice qui les frappe. En ces matières mystérieuses, nommer est ressenti comme dangereux.
On se gardait par ailleurs d'en parler, autour de 1900, devant les personnes sceptiques.




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