Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes des quatre Ardennes - Frédéric Kiesel

Du lait pour les sorcières

Sorciers et sorcières étaient habiles à se procurer à bon compte les boissons qu'ils désiraient. En Basse-Semois et dans d'autres régions d'Ardenne, on raconte des histoires d'astucieux bergers qui, dans les pâtures solitaires, buvaient tout leur saoul de vin ou de bière. Pour cela, ils plantaient dans le sol leur houlette, y adaptaient un robinet de bois et vidaient ainsi, à distance, jour après jour, le tonneau du curé ou d'un fermier. En toute quiétude.

Dans sa merveilleuse récolte de récits Volkssagen der West-Eifel, Matthias Zender nous rapporte, des villages de cette région, toute une série de récits où des sorcières usaient de procédés analogues pour voler du lait. Même en sorcellerie, les femmes sont plus sobres que les hommes...

Le procédé du robinet de tonneau ne convenait évidemment pas pour le lait. Il était difficile d'être sûr du méfait, et d'identifier la voleuse, car le fruit du larcin disparaissait du pis de la vache, avant la traite.

A Leidenborn, un fermier se désespérait. Ses vaches étaient belles et saines, mais elles donnaient de moins en moins de lait. Il alla demander conseil au curé. Je ne connais pas de prières ni d'exorcismes contre cela, lui dit le prêtre après avoir consulté un livre légué par son prédécesseur. Mais observe bien ceux qui viennent chez toi. N'as-tu pas eu des visiteurs bizarres? Il suffit à certaines gens de posséder un poil d'une bête, ou même de l'avoir touchée, pour posséder un pouvoir sur elle.

Notre homme réfléchit bien. Il se souvint de quelque chose :
— Avant que je n'achète ma ferme, des Tziganes y vivaient. Ils étaient encore dans le village quand j'ai amené mes bêtes dans l'étable. Ils étaient fâchés de devoir quitter les lieux.
— Tes ennuis viennent peut-être de là, dit le curé. Renseigne-toi.
Et le fermier apprit que, dans un village, à quelques lieues de là, une jeune Tzigane, plus bavarde que les autres, s'était amusée à étonner les gens. Elle avait pris une « Spullump » (lavette à vaisselle), l'avait pendue à un crochet. Elle avait ensuite tiré sur la lavette comme on fait lorsqu'on trait une vache. Et le lait avait coulé en abondance dans le seau qu'elle avait posé en-dessous.
— Vous voyez, avait-elle dit, je trais du lait des vaches de Leidenborn.
Apprenant cela, le fermier alla se renseigner auprès des vieux du village. Il apprit ainsi que le moyen de conjurer ce sortilège était tout bonnement de faire bouillir du lait, et, au moment de l'ébullition, de piquer autant de fois que possible avec une fourchette dans la « peau » blanche qui se soulève. La coupable, où qu'elle soit, reçoit toutes les piqûres et sait qu'elle est démasquée.

Dans le même village de Leidenborn, vers 1920 encore, une fermière racontait avoir été jadis victime d'un tour de magie qui l'empêchait de faire du beurre, malgré toute la bonne crème de lait provenant de ses vaches. Elle avait compris que la coupable n'était pas loin: une femme du village que les enfants appelaient la sorcière Alijer.

La fermière s'était tirée d'affaire en allant menacer la sorcière de se venger d'elle. Alijer jura ses grands dieux qu'elle n'était pour rien dans cette histoire de beurre raté. Mais elle avait eu peur et, dès lors, tout se passa normalement. Quinze ans après, la fermière en était encore fière. Il est vrai que ce n'était pas une mauviette...

Parfois, le sortilège dépend du lieu. Un fermier d'Olk avait deux vaches qui, elles, ne donnaient plus de lait du tout. Il soupçonna un mauvais sort attaché à l'étable où il les avait mises, et les plaça dans une autre. Du jour au lendemain, elles redevinrent normales. Cela se passait au début de ce siècle. Notre homme raconta le fait à un voisin qui refusa de le croire :
— Ces affaires de magie, c'est des contes de vieilles femmes, lui dit-il. Tu ne vas pas me faire croire que c'est vrai, ni surtout, que cela se passe de nos jours.
— Je suis sûr de ce que je raconte, rétorqua l'autre. Cela vient de m'arriver, et je n'avais pas la berlue.
Quelques mois plus tard, l'incrédule devait constater que le temps de la sorcellerie n'était pas révolu. Il se rendait en charrette à Aix-la-Chapelle, à travers la forêt royale, lorsque son véhicule s'arrête net. Il se fâche sur le cheval en tête d'attelage, lui crie d'aller au diable. Devant l'immobilité de la bête, il perd complètement son sang-froid, et se précipite sur elle en brandissant sa hache.

Alors, cet homme qui ne croyait pas à la magie entend une voix, venue on ne sait d'où, qui lui dit:
— Va plutôt frapper la roue avant de la charrette, à côté de toi.
L'incrédule le fait, sans réfléchir aux dégâts qu'il pourrait causer. Mais le fer n'atteint pas la roue, heurte l'air ou plutôt un personnage invisible, car un cri terrible retentit. Il n'a pas su quel personnage malveillant il avait blessé, mais la roue fut débloquée. Et les deux chevaux l'entraînèrent, à un train d'enfer, vers Aix-la-Chapelle.




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