Accueil --> Légendes du pays de Charleroi --> Gargantua chez les Belges.


Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes et contes du pays de Charleroi

Farciennes

La Pierre aux Rossignols de Roselies.

Ces pierres qu'on dressait sur la lumière des solstices, comme des paravents d'étoiles, ces pierres qu'on nous dit horloges, repères, prières, ordinateurs ou sanctuaires, ces mégalithes que notre cinéma a même propulsé dans l'espace sur un prélude de Strauss et sur l'ouverture du grand vide habité, ces pierres qui font sourire sur le dos d'Obélix et qui périssent sous les déclics Kodak à Carnac, ces signes que l'esprit de l'homme a sacrés, riches colliers de granit dans le vent de Stonehenge ou pierres solitaires de Wallonie, celles qui savent le ressac des guerres et le pas des Barbares, celles qui tournent ou se figent au bord de nos chemins faufilés d'aubépine, ces monolithes noirs qui sont notre mystère, notre mémoire et notre religion, ces pierres qui attendent chaque lever de soleil alors qu'elles en connaissent déjà la magie depuis des milliers d'aurores, ces pierres, qui sont-elles, sinon l'histoire devenue légende?

Car c'est entre 3000 et 1500 avant Jésus-Christ que les hommes utilisèrent d'énormes pierres pour construire ces monuments mégalithiques qu'on retrouve encore dans toute l'Europe. 40 à 50.000 monolithes délimitent, en effet, l'aire de cette civilisation mystérieuse, de la Norvège aux îles de la Méditerranée occidentale. Dolmens, chambres mortuaires, menhirs isolés, pierres érigées ou couchées, ces réalisations sont l'œuvre d'hommes de la Préhistoire. Elles n'appartiennent donc pas à la civilisation celtique, comme on l'a souvent affirmé. Pas de druides, donc! Simplement un grand mystère humain qui demeure. On comprend dès lors pourquoi les habitants de nos régions ont entouré de légendes ces pierres dressées.

Près de chez nous, le Zeupire à Gozée est le menhir type, menhir signifiant, en bas breton, pierre longue. Les spécialistes de la civilisation mégalithique pensent que ces pierres représentaient, pour les hommes de la Préhistoire, un symbole magique et religieux. Lorsque l'âme quittait le corps, elle cherchait un autre abri, une autre enveloppe matérielle. Le menhir concrétisait ce refuge. Il accueillait l'âme d'un mort inhumé à proximité ou ailleurs. Il est donc permis de supposer que les hommes croyaient, il y a des millénaires, que quelque chose de vivant était emprisonné dans ces pierres. En méditant devant ces silencieuses demeures d'âmes humaines, le promeneur du 20ème siècle comprendra aisément que la légende que nous allons lui conter renoue étrangement avec la certitude des historiens. N'y voit-on pas, en effet, l'âme d'un humain enfermée dans une pierre et qui tente en vain de s'évader de cette prison?

Il y a longtemps, très longtemps...

La Sambre coulait encore entre des collines couvertes de forêts. Pas de Farciennes, ni d'Aiseau, ni de Roselies. Parfois, une clairière ouverte par la hache ou par le feu. Quelques huttes, des hommes rudes. Chasseurs, pêcheurs ou éleveurs, tous croyaient aux fées. Dans ces bois immenses, ils les apercevaient souvent. Ils conversaient parfois avec elles.

Celle de Farciennes brillait particulièrement par sa beauté. C'était une fée de charme avec sa longue robe blanche aux reflets d'étoiles. Ses cheveux d'or jaillissaient d'un chaperon noir bordé de perles et coulaient en liberté sur ses épaules. Cette fée avait élu domicile dans le bois de Brou, sur la rive droite de la Sambre. C'est de là qu'elle partait pour exercer sa puissance sur les contrées environnantes. Perchée au haut d'un chêne séculaire, elle portait ses regards très loin. Elle traversait l'air dans un char tiré par les oiseaux. Seuls les rossignols ne traînaient pas le véhicule ailé, préposés qu'ils étaient à l'orchestre choisi par la fée. Chaque soir, la jolie blonde s'endormait, bercée par ce joyeux concert. En hiver, ces frileux chanteurs cédaient la place aux vents du Nord.

Un jour, un jeune berger vint avec son troupeau aux abords du bois de Brou. Etonné d'entendre tant de rossignols, il conçut le projet de capturer les passereaux afin de les mettre en cage et de les vendre. Il se glissa parmi les fougères et déposa ses gluaux dans la clairière. Mais comment attirer les oiseaux vers lui et vers les pièges?

Le lendemain, la fée à peine partie en mission, le berger sauta sur une grosse pierre, porta sa flûte aux lèvres et en tira les meilleurs accords. Jamais il ne captura autant de rossignols. Sept fois il revint, sept fois il s'en retourna chargé d'un lourd butin. Mais à la huitième fois, la fée l'attendait. Elle s'était, en effet, aperçue que le nombre de ses musiciens ne cessait de diminuer :
- Reste, jeune homme, je veux te châtier.
- Madame, pitié!
- Tu as détruit mes chanteurs sans raison. Je vais te faire pénétrer dans la pierre sur laquelle tu venais jouer, et tu y resteras pour l'éternité. Vivant, mais prisonnier.

Un geste. Une baguette magique. Un cri terrible. Un craquement sourd. La pierre qui s'ouvre. Le malheureux pâtre qui disparaît à jamais dans le roc.
A partir de ce jour, lorsque le douzième coup de midi retentissait, la Pierre aux Rossignols faisait un tour sur elle-même : c'était, disait-on, l'âme du prisonnier qui tentait de s'évader...

Le flâneur actuel chercherait en vain la Pierre aux Rossignols. Elle resta pourtant fichée dans son lit d'argile durant des siècles. C'était un bloc de grès roussâtre, non taillé, en position couchée. On la considérait comme une pierre aux sorcières, on la disait tournant à l'heure de midi. Sous l'Ancien Régime, la cour des échevins de Roselies, quand elle devait aborder un cas difficile ou qu'elle ne s'estimait pas assez «sage», assez informée, se rendait auprès de la pierre pour y délibérer. Sans doute les magistrats municipaux attendaient-ils l'inspiration du génie logé dans la roche ou l'influence bénéfique d'une réalité matérielle qu'ils croyaient vivante.

En août 1914, des soldats allemands la brisèrent pour en dégager un fragment qu'ils placèrent sur la tombe d'un officier tué à Roselies et inhumé au cimetière de Farciennes. La pierre légendaire retrouva ainsi son authentique destination puisqu'elle gardait une sépulture. Il semble que ce soit un obus allemand qui pulvérisa le reste du monolithe. En 1942, les villageois constatèrent sa disparition sans le moindre émoi. On les comprend un peu : ils avaient, cette année-là, d'autres soucis!

Liens


Accueil --> Légendes du pays de Charleroi --> Gargantua chez les Belges.

Site optimisé pour Firefox, résolution minimum 1024 x 768 px

Flux RSS : pour être au courant des derniers articles édités flux rss