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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE II

Le grand géant Ferragut

Du milieu des princes, des familiers et des membres de la famille de Charlemagne se détache la brillante figure de Roland. Salut au héros de Roncevaux !... Qu'il paraisse ici le premier, brandissant sa Durandal et sonnant de l'olifant.

Nous voici sur le théâtre de la guerre, en Espagne.

Après que Charlemagne eut vaincu le prince Surre, qu'il se fut emparé des monts de Garzizin et de toute la Navarre, il pouvait croire sa tâche terminée; mais l'Enfer veillait.

Au centre de la terre, à des profondeurs incalculables, sont creusés ces abîmes destinés aux anges rebelles et aux réprouvés. Dans sont palais de flamme, autour duquel roule une mer de lave fondue, le Roi des enfers a convoqué son conseil; quelques démons l'air consterné, paraissent au pied de son trône et racontent les succès de Charles le Grand et la défaite des Sarrasins d'Espagne, c'est de là qu'ils reviennent.

« Eh quoi !... s'écrie Lucifer, faudra-t-il donc toujours être humilié par ces maudits partisans du Christ !... Nos fidèles, les enfants de Mahomet, vont-ils encore être chassés de l'Espagne, de ce beau pays que l'Islamisme a failli soumettre tout entier !... Que font donc les princes musulmans ?... Ils s'endorment dans les délices et ne se soucient plus de venir aider leurs frères malheureux. Il faut secouer leur indolence ... Que l'un de nous aille réveiller de sa torpeur le plus puissant de nos princes mahométans ?... A qui enverrai-je un messager ?
- Au soudan de Babylone ... au soudan de Babylone, » répondirent tous les princes des anges rebelles.

Alors Satan appelle un des anges, celui qui est chargé d'entretenir l'erreur dans ces vaste régions que baignent le Tigre et l'Euphrate.

« Tu as entendu, lui dit-il ; tu sais ce que je veux... pars... »

Aussitôt l'envoyé des enfers, agitant ses ailes de feu, s'élance ; il monte, l monte à travers le dédale embrasé. Il sort bientôt de la bouche d'un de ces volcans éteints, véritables puits communiquant à l'enfer. Comme une flèche enflammée, comme une étoile filante, il traverse les airs au milieu d'une nuit sombre. Bientôt il plane au-dessus des eaux de l'Euphrate et des plaines désertique de la Mésopotamie. Babylone est là avec ses ruines superbes et ses masures modernes. La tour maudite, foudroyée par l'Eternel, restaurée par Nabucodonosor, Babel une seconde fois en ruine, Babel est là encore orgueilleuse ; elle dresse aux rayons de la lune qui se lève, ses restes imposants, sa masse gigantesque. C'est là, c'est au faite de la tour, que l'ange infernal abaisse son vol.

Au moment où le messager de Satan y arrivait, le roi était en proie à l'anxiété et à la peur. Les astres annonçaient des malheurs, les Mages secouaient la tête, cherchant à atténuer, par des mots obscurs, ce qu'ils croyaient apercevoir de menaçant là haut.

« Ainsi donc j'ai tout à craindre, disait le souverain de Babylone.
Tout... s'écrie soudain derrière lui une voix inconnue, tout, si tu résistes à l'ordre du ciel... rien, si tu lui obéis. »

Le prince et les savant se sont retournés avec effroi ; devant eux apparaît un homme au large et riche turban, au cimeterre doré, à la robe de soie écarlate. C'est le démon qui a pris l'apparence d'un prince musulman.

« Qui es-tu ?... comment te trouves-tu ici ?... dit le soudan.
Peu importe... me voilà... je suis un envoyé d'une puissance supérieure : c'est moi qui suis le génie protecteur de la Babylonie. A toi, prince, j'apporte la parole de mon maître. - Comment t'étonner si les astres t'annoncent des malheurs ?... Es-tu encore un croyant ? Es-tu encore un fidèle ?... Eh quoi ! Avec ta puissance, avec tes armées, tu laisses humilier le croissant et triompher la croix !... Les fidèles de l'Islam sont en fuite, égorgés, traqués par le roi des Franks, et personne ne vient à leur aide !... Vous vous endormez tous dans les plaisirs. Si tu veux être toi-même à l'abri des coups de la fortune, oublie tes querelles personnelles, rassemble une armée et dirige tes soldats vers l'Espagne, en toute hâte.
J'obéis, puissant génie, Dieu est grand et Mahomet est son prophète, que Mahomet triomphe !
C'est bien... à l'oeuvre donc, fait vite. »
Et, changeant d'aspect, comme un trait de feu, l'ange déchu s'élance dans les airs et disparaît.

Le soudan, dès les premières lueurs du jour, se met à l'oeuvre ; il lève une armée redoutable, vingt-deux mille hommes sont prêts, brûlant de signaler leur courage et de se baigner dans le sang chrétien.

Mais qui les commandera ?

Le prince n'hésita pas longtemps. Il y avait dans les États, non loin de Babylone, une famille antique venue du pays des Philistins. C'était la descendance directe du fameux Goliath que combattit et tua jadis le jeune David. Quand Goliath mourut il laissa plusieurs enfants héritiers de sa force athlétique et de sa haine pour les Hébreux. Dans la suite des temps, quand la famille de David régnait en Judée, l'aîné de la race de Goliath, ne se croyant pas en sûreté si près des princes juifs, émigra et vint se fixer sur les bords de l'Euphrate. Les descendants de Goliath n'avaient point dégénéré: c'étaient toujours des hommes d'une stature prodigieuse, d'une force surprenante se transmettant, de père en fils, une haine implacable contre les serviteurs du vrai Dieu. Comme ils avaient détesté les Juifs, ils détestaient à présent les chrétiens, les enfants de la vraie foi. Par haine pour le Christ, ils s'étaient empressés d'embrasser les erreurs de Mahomet. Plusieurs d'entre eux avaient suivi, sous les armes, le faux prophète et leurs fils étaient toujours prêts à s'élancer dans les rangs des ennemis de la religion chrétienne.

Ce fut là que le soudan alla chercher un général pour commander l'armée qu'il envoyait en Espagne. Il fit donc venir à Babylone le plus grand et le plus fort des enfants de Goliath: Ferragut, et il l'investit du commandement.

Quand Ferragut arriva en Espagne avec ses phalanges, les sarrasins reprirent courage, la terre d'Ibérie s'émut et se troubla, l'armée catholique attendit avec anxiété. On se répétait partout ce que la renommée avait appris du terrible Ferragut, ce qu'en racontaient quelques voyageurs qui l'avaient vu.

Ferragut avait, disait-on, vingt coudées(1) de haut... mais c'était là sans doute une exagération de la peur; voici le vrai d'après la chronique la plus autorisée : ce grant Ferragut avoit douze coultées de hault, sa face une coultée, son nez ung espan et ses cuysses quatre coultées, et en luy avoit la force et la puissance de quarante des plus puissans hommes qui se peussent trouver.

  1. La coudée (lat. cubitus) est une unité de longueur vieille de plusieurs milliers d'années. Elle a comme base la longueur allant du coude jusqu'à l'extrémité de la main. C'est la coudée, dite naturelle, de vingt-quatre doigts (= six paumes ou 1½ pieds). Elle correspond donc à 45 cm environ.


Chapitre III : Premiers exploits de Ferragut.
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