Accueil --> Liste des légendes --> Table des chapitres --> Chapitre 25.
Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée

Les légendes d'Ourthe-Amblève

Les quatre fils Aymon

Chapitre XXV

COMMENT CHARLEMAGNE, DEPITE DU TOUR DE MAUGIS, QUI L'AVAIT SI BIEN FAIT DORMIR, NE PUT OUBLIER CETTE INJURE, AU POINT QU'ETANT MIS EN LIBERTE PAR REGNAUT, IL REDUISIT BIENTOT A LA FAMINE LE CHATEAU DE MONTAUBAN.

Après que Maugis fut parti, Regnaut appela ses frères et leur dit :
— Dites-moi ce que nous ferons du roi que nous tenons en nos mains ? Vous savez qu'il nous a longtemps endommagé et fait plusieurs maux. Aussi, il me semble que nous devons nous venger de lui, puisque nous le tenons.
— Messire, dit Richard, je ne sais ce que vous ferez ; mais si vous m'en croyez, il sera bientôt pendu, car je crois qu'après sa mort, personne en France n'oserait nous attaquer.

Regnaut baissa la tête et se mit à méditer en lui-même sérieusement. Richard, le voyant ainsi, lui dit :
— A quoi pensez-vous ? Est-ce à qui en fera l'office ? Je le ferai bien et dès à présent si vous me le livrez.

Regnaut leva la tête et dit :
— Mes frères, vous savez que le roi est notre souverain seigneur ; et d'ailleurs, vous voyez comme Roland, le duc Naimes, Oger l'archevêque Turpin et Eston sont ici pour faire notre appointement (1) : ils connaissent bien que nous avons le droit, et conséquemment si nous le tuons à droit ou à tort, chacun nous en voudra, et tant que nous vivrons nous aurons guerre.

Allard lui dit alors :
— Frère, vous parlez avec prudence, mais si nous ne pouvons avoir la paix avec lui, il me semble que nous pouvons la lui demander une fois pour toutes ; et s'il nous la donne, Dieu soit loué ; et s'il nous la refuse, gardons-le sans le faire mourir, de telle manière qu'il ne puisse pas nous faire du mal.

Richard conseilla finalement de faire confiance à Regnaut et il fut écouté. Laissant le roi endormi, ils se rendirent auprès de Roland et envoyèrent chercher l'archevêque Turpin et les autres. Regnaut leur apprit que Charlemagne était prisonnier. Les barons furent très étonnés quand ils virent le roi si profondément endormi qu'on ne put l'éveiller. Regnaut fit chercher Maugis pour tirer Charlemagne de son sommeil, mais on lui apprit qu'il était parti, vêtu de vieux haillons. Regnaut comprit que son cousin s'en était allé pour éviter le courroux du roi. Il en pleura.

Richard se lamenta de ce que Maugis avait encouru la disgrâce de Charlemagne par amitié pour ses frères et lui, et il mit la main à son épée pour tuer le roi. Regnaut l'en empêcha. Pendant que les barons parlaient de la façon dont on pourrait faire la paix, l'enchantement cessa. Le roi, éveillé, regarda autour de lui et fut bien étonné de se voir à Montauban aux mains de Regnaut. Il devint si furieux qu'on le crut devenu fou et il déclara qu'il ne ferait point la paix tant qu'il était à Montauban et tant qu'on ne lui avait pas livré Maugis pour le traiter à sa volonté. Cela irrita Richard qui rappela au roi qu'il était à leur merci. Regnaut l'apaisa et proposa à ses frères de demander la paix au roi, ce qu'ils firent en s'agenouillant devant lui.
— Je n'en ferai rien, dit Charlemagne, si je n'ai Maugis pour le faire mourir.

Regnaut dit que s'il le pouvait il ne le ferait pas car il devait trop à Maugis, mais que d'ailleurs il ne le pouvait pas puisque Maugis était parti. Les barons, agenouillés, se joignirent aux frères Aymon pour que la paix demandée soit accordée. Charlemagne maintint qu'il n'en ferait rien sans avoir Maugis à sa merci.

Les fils Aymon se relevèrent ainsi que les barons. Regnaut, irrité, dit à Charlemagne qu'il pouvait partir sur son cheval Bayard, malgré les reproches de Richard qui lui en voulait de libérer un aussi méchant roi. Le roi rentra auprès de son armée et annonça à ses gens qu'il ne ferait jamais la paix avec les fils Aymon. Il fit alors ramener Bayard à Regnaut auprès de qui Roland, Olivier, le duc Naimes, Oger, l'archevêque Turpin et Eston étaient restés par amitié, ce qui irrita bien Charlemagne.

Cependant Regnaut ayant dit à ces barons qu'il les tenait quittes de toutes les querelles, ceux-ci retournèrent auprès de Charlemagne qui leur annonça qu'il allait affamer les gens de Montauban qui n'avaient guère de vivres et qui étaient affaiblis par le départ de Maugis. Le duc Naimes, lui, rappela la politesse, l'humanité et la confiance qui lui furent faites par Regnaut qui avait empêché Richard de lui trancher la tête ; et lui conseilla de se battre plutôt contre les Sarrasins qui sont en repos et en grande joie à l'occasion de cette guerre fratricide.

Charlemagne ne voulut rien entendre, il se mit dans une violente colère et ordonna de se préparer à attaquer Montauban. Regnaut et ses frères les voyant venir, rassemblèrent leurs gens d'armes qui se mirent en défense sur les murs. Les Français traversèrent les fossés, dressèrent leurs échelles contre les murailles, mais les gens de Montauban opposèrent une telle résistance et firent si bien tomber ceux qui étaient sur les échelles que Charlemagne se rendit compte que Montauban était imprenable par la force. Il décida alors de faire le siège pour affamer les gens de Montauban.

Charlemagne tint si longtemps que les habitants de Montauban connurent la famine. Des gens moururent de faim. Charlemagne l'apprit et annonça la façon odieuse dont il ferait mourir les fils Aymon quand ils seraient pris. Il maintint ses projets malgré l'intervention du père Aymon qui était resté avec lui, mais demandait un traitement chevaleresque pour ses fils. A Montauban, Regnaut se rendait compte de leur situation critique. Sa dame demanda qu'on tuât un cheval pour le manger.

Regnaut fit abattre un cheval, puis, les jours suivants, il fallut abattre tous les autres l'un après l'autre, sauf Bayard et ceux des trois autres frères. Il fallut pourtant se résigner à tuer ceux-là aussi. Quand le tour de Bayard arriva, il y eut une grande discussion. Finalement, la nuit venue, Regnaut se rendit secrètement dans la tente de son père et, après des palabres, fut autorisé à repartir avec du pain et de la viande fraîche, chargés sur Bayard qui en emporta ainsi plus que ne l'auraient fait dix autres chevaux. De plus, avec la complicité de son maître d'hôtel, le père Aymon arma secrètement de pain et de viande les engins que Charlemagne lui avait donnés pour détruire les murailles ; et les vivres furent ainsi lancées dans Montauban.

Charlemagne l'ayant appris, menaça le vieil Aymon, mais conseillé par le duc Naimes, il se contenta de le renvoyer dans ses foyers pour qu'il n'eût plus à combattre ses fils. La famine finit cependant par revenir à Montauban. Yonnet, un des enfants de Regnaut, dit à son père :
— Qu'attendez-vous pour tuer Bayard ? J'enrage de faim et si je n'ai quelque chose à manger, vous me verrez bientôt mourir avec mon frère et ma mère, car nous ne pouvons résister.

Regnaut, entendant parler son fils de la sorte, en eut grande pitié, et d'autre part il n'osait tuer Bayard qui le caressait. Il imagina un moyen pour ne point le faire mourir.

Il demanda un bassin et saigna Bayard au côté, duquel il sortit beaucoup de sang. Quand il l'eut assez saigné, Regnaut lui banda sa plaie, et Allard prit le sang et le porta à cuire.

Quand il fut bien cuit, ils en mangèrent tous un peu, ce qui les soutint. Regnaut et toute sa compagnie demeurèrent pendant, quatre jours: qu'ils ne mangèrent rien d'autre. Au cinquième jour on voulut ressaigner Bayard, .mais il était si faible qu'il ne jetait point de sang. La duchesse se mit à pleurer et dit :
— Sire, puisque votre cheval ne rend plus de sang, tuez-le et vos enfants le mangeront, vous, vos frères et moi, autrement nous mourrons de faim.
— Je ne puis le faire, dit Regnaut, car il nous a toujours sauvé la vie.

  1. Ici, «appointement» signifie «jugement préparatoire».



Aller au chapitre 26    Table des chapitres
Retour à la liste des légendes    Retour à la page d'accueil

CSS Valide ! [Valid RSS]

Site optimisé pour Firefox, résolution minimum 1024 x 768 px

Flux RSS : pour être au courant des derniers articles édités flux rss