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Le Cercle Médiéval en police de caractère adaptée


Légendes carlovingiennes

La famille de Charlemagne
et ses descendants

CHAPITRE XIII

Les funérailles des braves

I

A Marboré, tandis que les uns soignent les blessés et s'empressent de les faire transporter dans les cités les plus proches, les autres s'occupent des morts ; les prières et les saints offices ne cessaient pas.

On avait donc embaumé et paré le corps de Roland et celui d'Olivier; on en fit autant pour les autres preux tombés victimes des Sarrasins. On employa à ce soin funèbre l'aloès et la myrrhe. Quelques-uns, à défaut d'aromates, employèrent le sel. On enterra là bien des morts, les autres furent ramenés en France. Les cimetières d'Arles et de Bordeaux reçurent le plus grand nombre des héros défunts.

Charles rentra accompagnant les corps de Roland et d'Olivier. Il choisit, dit une chronique, pour le lieu de leur sépulture Blaye-sur-Gironde, près de Bordeaux. C'est dans l'abbaye de Saint-Romain de Blaye qu'on fit de magnifiques funérailles et qu'on déposa les dépouilles mortelles de ces deux vaillants chrétiens. A cette occasion le roi fit de grands dons à l'abbaye.

Près de la tombe de Roland, Charles fit suspendre Durandal, son espée et son cor d'oliphant lequel, comme on dit, est encores de présent en l'église Saint-Severin près Bourdeaulx. — C'est sans doute plutôt Saint Servin de Toulouse qu'aura voulu dire le chroniqueur, car Toulouse vous présente le précieux cor d'ivoire, et Blaye (comme du reste plusieurs autres villes) prétend posséder encore la fameuse Durandal.

On conserve aussi dans la vallée de Roncevaux les masses d'armes de Roland et d'Olivier (1). Ce sont des bâtons de la grosseur du bras, ayant au bout un gros anneau où l'on attachait une chaîne ou une corde qui s'enroulait autour du poignet et empêchait la masse de s'échapper de la main. A l'autre extrémité du bâton pendent trois chaînes soutenant des balles de métal ; l'une est ronde, une autre ovale et rayée. Ce devait être une arme terrible quand elle était dans une main vigoureuse.

Bien des larmes furent répandues à ces obsèques surtout par Charlemagne et par la belle Adèle, l'épouse désolée de Roland.

Charles fit de grandes largesses aux églises pour que l'on continuât à célébrer des messes en faveur de ces glorieux trépassés. Il fit d'abondantes aumônes aux pauvres afin qu'ils priassent pour l'âme de son neveu et des antres: il fit faire aux poures robes et habillements, départir entre eulx douze mil onces d'argent et autant de besans d'or. Et pareillement fit faire, à Arles, semblables aumosnes.

II

Malgré le dire des chroniqueurs, il parait que ce n'est point à Blaye qu'on a porté le corps de Roland. C'est sur le théâtre même de ses derniers exploits qu'il repose. Un caveau fut creusé à Roncevaux pour lui et pour plusieurs de ses compagnons d'armes et une chapelle fut élevée par le roi sur ce caveau. Ce monument subsistait encore dans les premières années du dernier siècle.

Voici les paroles d'un historien de Charlemagne qui s'appuie sur l'autorité du Père Daniel (2).

« A trois cents pas de l'église de Notre-Dame de Roncevaux et de l'abbaye de ce nom, on a bâti autrefois une chapelle funèbre sous laquelle on a creusé un caveau où se voyaient quelques ossements. Autour de la chapelle on avait élevé trente tombeaux simples et sans inscriptions. Sur un des murs intérieurs, une peinture à fresque représentait une bataille : c'était la journée de Roncevaux. On y voyait quelques inscriptions, entre autres celle-ci : Thierry d'Ardenne, — Riol du Mas, — Gui de Bourgogne, — Olivier, — Renaud, — Roland. La tradition du pays rapporte que c'est Charlemagne qui a fait bâtir cette chapelle, où l'on priait pour les Français morts à Roncevaux, que le caveau est l'endroit même où on les fit enterrer, et que les trente tombeaux sont ceux des seigneurs les plus considérables morts en cette journée. A l'appui de cette tradition vient un usage immémorial, c'est qu'on n'enterre dans ce lieu que les Français, et ce sont ceux qui meurent dans l'hôpital de l'abbaye de Roncevaux ; les gens du pays ne souffriraient pas qu'on y enterrât un des leurs. »

Des monuments qui périssent moins facilement que les pierres des épaisses murailles, ce sont les traditions populaires déposées dans les chants que se transmettent les générations. L'hymne qui célébrait la gloire de Roland était populaire entre tous les chants guerriers. Les troupes françaises, longtemps et jusqu'au XVIè siècles le chantaient en marchant au combat. Les chefs le faisaient répéter par des bardes pour exciter l'ardeur des soldats.

Dans son roman de Rollon, Robert Wace nous montre les Normands du duc Guillaume allant à la conquête de l'Angleterre en 1066 et s'avançant précédés par un barde qui, avec sa voix éclatante, célèbre, dans ses strophes, la gloire de Roland et de tous les preux tombés à Roncevaux :

Taillefer ki molt bien cantoit
Sur un cheval ki tost alloit,
Devant ax (3) s'en alloit cantant,
De Carlemaine et de Roland
Et d'Olivier et de vassaus,
Ki moururent à Rainschevaus.

On voit le même usage persister dans le XIVe siècle ; après la malheureuse bataille de Poitiers, un soldat chantait les strophes de la chanson de Roland auprès du roi Jean.... Le roi, fronçant les sourcils, lui dit: Pourquoi chanter Roland quand, dans les armées françaises, les Roland ne se trouvant plus ? — Sire, il s'en trouverait encore, répondit le soldat, s'il y avait un Charlemagne à leur tête. »

A cette réponse si hardie, le roi ne se fâcha pas, mais baissa la tête et garda le silence.

Enfin l'ennemi lui-même décrivit, dans des vers, la déroute des Franks: je dis l'ennemi, car les Basques, comme on sait, s'étaient joints aux Sarrasins contre les troupes commandées par Roland. Les Basques chantèrent longtemps des couplets composés contre le chef Roland et ses guerriers ; ils y célébraient la défaite des soldats de Charlemagne par les fils de la Gascogne et la gloire de leurs ancêtres victorieux.

  1. Nous allons voir en effet que, malgré les chroniques qui veulent que Roland et Olivier aient été enterrés à Blaye, il y a eu à Roncevaux, jusqu'au commencement du XVIIIè siècle, une chapelle bâtie par Charlemagne sur les tombes des deux braves et de quelques autres guerriers tués avec eux.
  2. Histoire de Charlemagne, par Gaillard, tom. II.
  3. Ax, du mot latin actes, armée.


Chapitre XIV : Supplice du traître Ganes.
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